biracov8L’OS DE MOR LAM

TABLEAU PREMIER - DEUXIEME TABLEAU - TROISIEME TABLEAU - QUATRIEME TABLEAU

INTRODUCTION :

 

         C’est un vieil Os centenaire et qui date de trente ans. En tant que conte, il figure dans le numéro 1 de la Revue Présence Africaine et a été traduit même en polonais.

         Les habitudes de la vie imposées par la TRADITION se révèlent mal adaptées aux besoins de Mor Lam. Disons que Mor Lam s’adapte mal à ses obligations.

         Son désir de se trouver seul, dans sa demeure, pour savourer son OS, explique toute l’importance de l’événement et dénote un égoïsme bien humain.

         Mais son choix, sa décision : plutôt faire le mort que partager l’Os, est terrifiant.

         Prisonnier de lui- même, sans générosité… Il meurt. C’est dans l’ordre.

         Il faut jouer le Jeu de la Tradition, celui de la Société dans laquelle nous vivons. NOUS NE SOMMES PAS LIBRES.

         Et AWA ? L’épouse modèle ? Elle n’existe que dans l’OBEISSANCE à laquelle elle se soumet tout naturellement .

         Attachée à Mor Lam par les liens implicitement contenus dans le simple fait d’EPOUSE, elle accepte d’entrer dans le jeu, ou plutôt dans l’ANTI-JEU de son mari au risque de la perdre.

         Est-ce par respect de la LIBERTE de Mor Lam ?

         Est-ce de l’indifférence ? Allez savoir.

         Mais MOUSSA MBAYE est-il un véritable FRERE ? Lui qui, jouant le jeu, pousse son PLUS QU’AMI dans la tombe ?

         C’est au Spectateur à REFLECHIR.

 

TABLEAU   PREMIER

 

La cour de la demeure de MOR LAM.

Un arbre.

A droite de la scène : Une case-cuisine avec un foyer, des ustensiles de ménage, un petit lit (tara), des nattes roulées appuyées au fond de la case.

         A gauche de la scène : Une case avec un lit, une grande malle.

 

ACTE I

SCENE I

AWA et OUMI

         Assises dans la cour sur de petits bancs. Des calebasses, un mortier, des pilons, un canari, un pot à eau, une bouilloire au coin à gauche.

OUMI

         Mô Awa NDAYE, ton mari ne t’a rien dit hier soir en rentrant

AWA

Ne m’a pas dit quoi ?

OUMI

Il ne t’a pas parlé de tong-tong, de partage de viande ?

AWA

         Je l’ai entendu parler de tong-tong, mais c’était dans un rêve, tard dans la nuit, entre deux ronflements.

OUMI

         Awa, depuis combien de temps n’as-tu pas mangé de viande ?

AWA

Mangé de viande ? De la viande de quoi ?

OUMI

         De la viande rouge.

AWA

         Cela Oumi GUEYE je ne me rappelle plus. Depuis ma jeune et tendre enfance je n’ai jamais vu dans Lamène, d’où je ne suis jamais sortie, de la pointe d’une corne de bœuf, de mouton ou de chèvre, si ce n’est sous forme de gri-gri habillé d’étoffe rouge piquée de cauris.

         Le goût de la viande a dû se confondre, se mêler dans ma bouche avec le goût du lait de ma mère dont j’ai perdu, tu le penses, tout souvenir.

OUMI

       Sa-Dagga le Mbandakatt se moquait bien devant nous des gens de Niangal qui se contentaient de poisson frais et de poisson sec car le poulet n’était pas à la mode chez eux.

AWA

         Ma mère chantait aussi la chanson de Sa-Dagga en plumant quelque providentielle pintade.

         Elle prend une calebasse et rythme la chanson.

 

         Ba ma démé Niangal

         Gni déffi djène

         Gni déffi guèdje

         Bo ba ganar Xéva goul…

OUMI

         Sa-Dagga devait, en bon mbandakatt, en dire autant sinon pire que nous Lamène-lamène devant d’autres spectateurs d’autres villages. Car nous n’étions pas mieux lotis que ceux de Niangal.

AWA

         Nous ne sommes toujours pas mieux lotis que personne, tané vou gnou Kène katt !

OUMI

         Mais Dieu est bon. Je crois bien que nous allons voir bientôt la fin de notre faim de viande rouge ;

AWA

         Quand ? Kagne ? Nane ? Comment ?

OUMI

         Bientôt ! Avec le tong-tong du taureau qu’on est allé chercher, nous aurons tous de la viande rouge, hommes et femmes. Et les vieux , les plus vieux du village comme les gens d’âge mûr la plupart d’entre eux maintenant sans dents hélas ! vont réapprendre à connaître le goût de la viande rouge.

         Les jeunes et les plus jeunes, qui n’auront peut-être en fin de compte que des os à ronger, sauront enfin ce qu’est sinon le goût du moins l’odeur de la grillade.

AWA

         Et ils l’auront bien mérité, ces enfants ! car si nos hommes ont dessouché, défriché, brûlé et sarclé au temps des labeurs ; si nous femmes nous avons semé dès les premières pluies, si le Ciel a été clément, si la terre a été généreuse, si les criquets ont été absents par bonheur, les enfants eux ont (souvent en rechignant bien sûr) abandonné leurs jeux pour veiller aux épis contre les mange-mil, ces impudents ravageurs. Les plus adroits, dont tes fils, ont contraint à coups de gourdins Golo-le-singe et les siens à respecter nos arachides et nos niébés. Ils ont piégé Baye-Thile le père des chacals et ceux-ci ont jugé plus sage et plus salutaire d’aller chercher ailleurs des pastèques, peut-être aussi juteuses et succulentes mais et surtout de récolte plus facile et à moindres risques. Ils ont mérité une récompense, les enfants.

OUMI

         Et nous aussi nous le méritons. Et nous allons l’avoir, salaw ! Nos greniers sont pleins, bourrés jusqu’au sommet des toits de chaume de la récolte. Une partie de nos graines, mil, maïs, niébé, va servir à se procurer de la viande rouge et d’autres choses aussi, sucre, thé… mais d’abord de la viande rouge.

AWA

         Et d’où nous viendra-t-elle, cette viande rouge ?

OUMI

         Les hommes ont décidé hier au Conseil des Anciens d’envoyer des jeunes et des ânes avec leurs charges de graines, là-bas dans le Nord, au Ferlo où paissent d’immenses troupeaux des Peulh qui ont tant de bœufs qu’ils ne peuvent même pas les compter, mais qui ne mangent presque jamais de la viande de leurs bêtes.

AWA

         Il est vrai que l’abondance dégoûte. Et quand ramasser devient aisé, se baisser est difficile.

OUMI

         Cependant le peulh ne vit pas que de lait…

AWA

         Eh ! doucement, ndank ! N’oublie pas que ma grand-mère était une poulotte.

OUMI

         Je ne l’oublie pas. C’est pour cela d’ailleurs qu’on t’appelait Awa-Xongué, Awa-la-rouge.

         Je ne dis pas du mal des peulh. Mais ces bergers esclaves de leurs animaux, qui ne restent jamais aux m^mes endroits, qui ne cultivent jamais le moindre lopin de terre, qui ne touchent de leur vie ni gop, ni daba, ni hilaire, ni hoyau, sont quelquefois bien heureux et fort aise d’avoir du mil , quel qu’il soit d’ailleurs petit ou gros, souna ou sanio. Pour de ce mil faire un couscous à leur façon, sans poudre de feuille de baobab, sans lalo, qu’ils mélangent avec toutes les sortes de leur lait : lait frais, lait endormi, lait caillé ou lait aigre.

AWA

         Et alors ? …

OUMI

Alors…

VOIX de MOR LAM, en coulisse

Qui parle dans ma cour à cette heure-ci ?

AWA

C’est Oumi GUEYE rék, Lam !

 

SCENE II

Les mêmes, MOR LAM

MOR LAM, entrant, furieux

         Oumi Guèye, ton mari est rentré chez lui, lui aussi. Et je m’étonnerais fort s’il ne s’étonne pas de ne pas trouver sa femme dans sa maison.

OUMI, s’agenouillant pour saluer

Lam.

MOR LAM, bourru

 Djam rék Guèye. Mais rentre chez toi.

 OUMI, se relève et prend congé

 Awa, passe la journée en paix.

 AWA

Djam ak djam Guèye.

 (Exit OUMI GUEYE)

 

SCENE III

AWA, MOR LAM

MOR LAM, toujours bourru

         Djam ak djam ? Peut-on seulement avoir la paix chez soi avec tous ces hommes et toutes ces femmes qui fourrent partout leurs longs pieds ?

         Je ne comprends pas ces femmes qui vont de maison en maison la journée durant avec leurs longues langues
AWA

         Mais Oumi GUEYE ne disait du mal de personne, Lam. Elle a parlé seulement de tong-tong.

MOR LAM

         De quoi ? Ngané lane, que dis-tu ?

AWA

         Elle a parlé de tong-tong.

MOR LAM

         De quoi se mêle-t-elle, celle-là ? Je suis maître ici, chez moi. C’est à moi seul d’en parler, de parler de ce tong-tong, de t’en parler quand je le juge opportun, utile…

         Je n’allais pas t’en dire quoi que ce soit avant de savoir si je pouvais obtenir, si j’avais obtenu ce que je voulais.

AWA

         Et que voulais-tu obtenir, Lam ?

MOR LAM

         Choisir moi-même la partie, le morceau qu’il me faut de ce taureau que sont partis à l’aube chercher nos jeunes gens avec leurs ânes ployant sous leurs charges de graines… J’ai pu choisir, j’ai eu l’os !

AWA

         L’OS ? Un os ?

MOR LAM

         Oui ! l’os ! d’un jarret bien fourni en chair et bourré d’une moelle onctueuse. Tu le feras cuire, doucement, lentement, longuement, jusqu’à ce qu’il s’amollisse et fonde dans la bouche comme du beurre. Et ce jour-là que personne n’approche de ma demeure.

 

RIDEAU

 

DEUXIEME TABLEAU

         La place des palabres de Lamène. Les Notables autour de Mame Magatte Lam.

 

ACTE II

 

SCENE I

 

MAME MAGATTE LAM

       Remercions encore nos vaillants jeunes gens qui ne sont pas laissés tromper, pas berner par ces peulhs du Nord qui tètent la fourberie avec le lait de leurs mères. Ils nous ont amené ce taureau en parfait état d’embonpoint. Cette bête était magnifique.

MBAR DIAGNE

         Tu ne l’as pas vue, Mame Magatte, arrivant hier soir à l’entrée du village avec ses cornes immenses…

MA-SEYE SEYE

         Son poil fauve qui brillait au soleil couchant, son cou massif comme une souche de baobab, son fanon qui balayait la terre.

NDIOGOU DIENE

         Et quelle force, quelle vigueur !

 

 

MAR SECK

 

 

         Demandez à Mor Lam. Il a évité de justesse le coup de pied qui a failli lui emporter le crâne quand il a tâté le jarret du taureau. Heureusement pour lui que nos jeunes gens tenaient bien tendues les cordes malgré leur grande fatigue.

 

 

MA-SEYE SEYE

 

 

         Celui-là, son ventre le conduirait au tombeau s’il l’avait sur le dos.

 

 

MAR SECK

 

 

         Il faut aussi remercier Mbarrik-tifflé le boucher et ses aides pourognes. Ils ont dépouillé proprement l’animal. La peau n’a pas une seule couture, pas un seul trou.

 

 

MBAR DIAGNE

 

 

         Ils ont surveillé tout le temps les enfants qui raclaient les rares lambeaux de chair restant encore sur la dépouille.

 

 

MAME MAGATTE

 

 

         Il ne faut pas oublier non plus Serigne Dam. Il a fait équitablement le partage. J’ai rarement vu un tong-tong aussi juste. Chaque famille a eu les morceaux de viande, les bouts d’os et de tripes qu’elle voulait, je crois bien. N’est-ce pas Ndiogou ?

 

 

NDIOGOU DIENE

 

 

         En effet…Tout le monde est content et satisfait. Même Mor Lam ce grincheux.

 

 

MBAR DIAGNE

 

 

Même les enfants qui sont déjà en train d’engloutir les abats et les raclures grillés.

 

 

MAME MAGATTE

 

 

         Et la peau, où est-elle ? Qu’en a-t-on fait Ma Sèye. ?

 

 

MA-SEYE SEYE

 

 

         Je l’ai fait donner à Woudé SOW le cordonnier. Il l’a déjà foulée. Il va la tanner pour en faire un tapis de prières pour Serigne Dam.

 

 

TOUS, marquant la satisfaction générale

 

 

-   Waw, waw… Waw-Waw !

-         Iskèye !

-         Al Hamdou li lahi !

-         Dieu est bon ! Yalla bax na !…

SCENE II

 

 

LES MEMES, MOUSSA MBAYE

 

 

MOUSSA MBAYE, entrant

 

 

         Assalamou aleykoum mbok yi.

         Reniflant et en aparté

Quelle odeur de viande dans ce village ! Deukeu-bi gheuneu xègne yappe !

 

 

 

LES NOTABLES

 

 

Malikoum salam Mbaye ! Maraxba Mbaye !

 

 

MOUSSA MBAYE, serrant les mains

 

 

         Lam, Diègne, Sèye, Diagne, Seck ! Djam nguénam !

         C’est Mor Lam que je cherchais. Mon ami, sa mbokmbar Mor, je croyais le trouver parmi vous.

 

 

MBAR DIAGNE

 

 

         Mor Lam ? Il n’est pas venu à la prière de Yor-yor dé !

 

 

MAME MAGATTE

 

 

         Pour lui ce n’est sans doute qu’une prière surérogatoire !

 

 

NDIOGOU DIENE

 

 

         Personne ne l’a revu, kène guissa tou ko, depuis la prière de Fadjar.

 

 

MA SEYE SEYE

 

 

         En quittant la mosquée il s’est dirigé vers la demeure de Mbarrik-Tifflé le boucher.

 

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Je vais donc arriver jusque chez lui.

 

 

MBAR DIAGNE, ahuri

 

 

         Chez lui ? Hum ! Je crois que ce jour est bien mal choisi pour faire une visite à Mor Lam.

 

 

MOUSSA MBAYE, étonné

 

 

         Han ? Lou khève ? Qu’y a-t-il ?

 

 

MA SEYE SEYE

 

 

         Mor Lam n’est pas rentré chez lui tout seul, j’en suis certain.

         S’il n’est pas repassé par ici ni par la Mosquée c’est parce qu’il devait être chargé. Il a dû repartir de chez Mbarrik avec sa part de tong-tong sous le bras dès avant la fin de la distribution.

         Je suis sûr qu’il préférerait demeurer tout seul aujourd’hui dans sa maison jusqu’à demain et peut-être même jusqu’après demain.

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Mais je suis son ami !

 

 

NDIOGOU DIENE

 

 

         Mor amoul xaritt katt, Mor n’a pas d’ami sa vay, mon ami.

 

 

MABAR DIAGNE

 

 

         Il est comme la peau du singe, déroube golo la, qui n’est ni pour le cordonnier ni pour le marabout. Heuwoul, djouliwoul !

 

 

MAR SECK

 

 

         Je suis certain que s’il pouvait chasser même les mouches de sa demeure aujourd’hui, il le ferait ;

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Mais je suis son mbok-mbar

 

 

MAME MAGATTE

 

 

         Raison de plus.

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Ngané, nga né lane ? Que dis-tu Mame Magatte ?

 

 

MAME MAGATTE

 

 

         Ma né, je dis : raison de plus ! Approche, lagg sil ! Je connais mon homme et je connais mon monde. Tout le monde sait ce que signifie la fraternité-de-case. Plus forte que les liens fraternels, plus tyrannique que l’affection filiale et que l’amour paternel, elle soumet l’homme digne de ce nom à des règles, à des obligations, à des lois qu’il ne saurait transgresser sans déchoir aux yeux de tous.

         Avoir mêlé à l’âge de douze ans, par une aube fraîche, sur un vieux mortier couché sur le sol, le sang de son sexe au sang du sexe d’un autre garçon ; avoir chanté avec lui les mêmes kassaks, les mêmes chants initiatiques, avoir reçu en même temps que lui les mêmes coups de lingués des mêmes selbés qui se vengent sur d’autres jeunes des coups qu’ils reçurent naguère ; avoir mangé avec lui dans les mêmes calebasses jamais lavées, les mêmes mets parfois délicieux mais le plus souvent immangeables, infects par des surveillants sans pitié ; avoir été fait homme dans la même case, le même mbar qu’un autre garçon, cela fait de chacun de nous, toute notre vie durant, l’esclave de ses désirs, le serviteur de ses besoins, le captif de ses soucis comme de ses caprices, envers et contre tous, père et mère, oncles et frères.

 

 

LES AUTRES

 

 

         C’est vrai ! Deug leu ! C’est vrai.

 

 

MAME MAGATTE

 

 

         C’est vrai. Mais je crois que c’est là un fardeau trop lourd aujourd’hui pour les épaules, la tête et le dos de Mor Lam. Attane nou ko tèye.

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Mais les coutumes ? … La tradition ? … L’honneur ? … L’hospitalité ? … Le souci du qu’en dira-t-on ? Le Sikk, ce petit mot si terrifiant ? … Que fait-il de tout cela ?

 

 

MBAR DIAGNE

 

 

         Pour le Mor Lam que je connais ? Notre Mor Lam ? Je crois que ce sont là des maîtres qui n’ont pas beaucoup de pouvoir sur lui …

 

 

NDIOGOU DIENE

 

 

         Je crois que ce sont là plutôt de pauvres esclaves qui ne suivent que très rarement et de loin notre homme.

 

 

MAR SECK

 

 

         Disons des compagnons qui ne logent pas souvent dans sa demeure.

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         J’entends pourtant user aujourd’hui de mes droits de mbok-mbar.

 

 

LES NOTABLES, sceptiques

 

 

         C’est bien !

         C’est bon !

         Inch Allah, Sobe Yalla.

         Bonne chance !

 

 

MOUSSA MBAYE, se levant et prenant congé

 

 

         Passez la journée en paix… Lam, Diagne, Diègne, Seck, Sèye !

 

 

MAR SECK

 

 

Passe-la en paix toi aussi chez ton ami.

 

 

LES AUTRES

 

 

         Djam ak djam Mbaye.

 

 

RIDEAU

 

 

 

 

 

TROISIEME TABLEAU

 

 

 

 

ACTE III

 

 

 

         Même décor : la demeure de Mor Lam.

         Dans la case de droite : Mor Lam étendu sur le Tara.

         Awa assise sur un petit tabouret près du foyer allumé et portant une grande marmite.

         Des ustensiles de cuisine, calebasses, etc.

         Des nattes enroulées appuyées au fond de la case.

 

 

 

SCENE I

 

 

MOR LAM et AWA

 

 

MOR LAM , se redressant

 

 

         Awa ! …

 

 

AWA, se retournant

 

 

Nam, Lam !

 

 

MOR LAM

 

 

Je t’ai déjà dit de cuire cet os doucement … lentement … Longuement !

 

 

 

AWA

 

 

         Waw Lam ! , elle se penche sur la marmite.

 

 

MOR LAM

 

 

         As-tu mis dans la marmite tout ce qu’un jarret réclame pour, une fois bien cuit, cuit à point, fondre délicieusement dans la bouche comme du beurre ?

 

 

AWA

 

 

         Oui Lam.

 

 

MOR LAM

 

 

         Pour qu’il puisse donner, qu’il donne un bouillon bien gras et bien moelleux qui mouillera onctueusement ton couscous ?

 

 

AWA

 

 

         Oui Lam.

 

 

MOR LAM

 

 

         Surtout ne l’écume pas ! Ne l’écume jamais ! Mouk !

 

 

AWA

 

 

Oui Lam.

 

 

MOR LAM

 

 

         As-tu bien vanné le grain ?

 

 

AWA

 

 

Oui Lam

 

 

MOR LAM

 

 

         L’as-tu pilé comme il le faut ?

 

 

AWA

 

 

         Waw Lam .

 

 

MOR LAM

 

 

         As-tu granulé la farine très, très, très fin, sans le moindre grain de sable ?

 

 

AWA

 

 

         Oui Lam.

 

 

MOR LAM

 

 

         L’as-tu bien malaxé avec la quantité juste nécessaire et suffisante de bon lalo, de bonne poudre de feuilles de baobab bien fine et bien verte qui l’aide bien gluante à descendre de la bouche au ventre ?

 

 

AWA

 

 

         Waw Lam ;

         Mor Lam se recouche sur le tara. Awa s’affaire dans la cuisine déplace les nattes, remue les ustensiles.

 

 

UN TEMPS

 

 

 

MOR LAM , se redresse et appelle

 

 

         Awa Ndiaye !

 

 

AWA, du fond de la case

 

 

         Nam Lam !

 

 

MOR LAM

 

 

         Où est l’os, Awa ?

 

 

AWA

 

Va au foyer, soulève le couvercle de la marmite :

         L’os est là.

 

 

MOR LAM

 

 

         S’amollit-il ?

 

 

AWA

 

Prend une écumoire, la plonge dans la marmite, pique le jarret.

         Il s’amollit.

 

 

MOR LAM

 

 

         Remets le couvercle.

 

 

AWA

 

 

         Waw Lam.

 

 

 

MOR LAM

 

 

         Attise le feu.

 

 

 

AWA

 

 

         Waw Lam.

         Mor Lam se recouche. Awa retourne au fond de la case.

         Un temps…

         Bruit dans la coulisse et heurts à la port de la clôture.

         Et son de voix.

 

 

VOIX DE MOUSSA MBAYE

 

 

         Mor c’est moi ! C’est moi Moussa ! Moussa Mbaye ! C’est moi . Ma na vaye ! Ton ami, ton frère, ton plus-que-frère, ton mbok-mbar Moussa ! …

 

 

 

MOR LAM, se levant brusquement

 

 

         Awa !

         Où est l’os ?

 

 

AWA

 

AWA, retourne auprès du feu, soulève le couvercle de la marmite.

 

         L’os est ici.

 

 

MOR LAM

 

 

         S’amollit-il ?

 

 

AWA,

Plonge l’écumoire dans la marmite, pique le jarret.

 

         Il s’amollit.

 

 

VOIX DE MOUSSA

 

 

         Ouvre-moi vaye ! Oubi ma vaye Mor ! C’est moi Moussa, Moussa Mbaye !

 

 

MOR LAM

 

 

Remets-moi ce couvercle à sa place.

 

 

 

AWA

 

 

         Waw Lam.

         MOR LAM, prend une natte et sort de la case. Il s’éloigne, puis revient devant la porte de la case.

         Viens et ferme-moi cette porte.

 

 

 

AWA

 

 

         Waw Lam.

 

 

MOR LAM , impatient

 

 

         Gave toul yow, fais vite !

 

 

 

 

AWA

 

 

         Waw Lam.

 

         MOR LAM va étendre la natte au pied de l’arbre en grognant.

 

         Soubokhoune ! Khoudossoune ! Au diable !

 

         Heurts plus forts à la porte qu’il va entrouvrir et que pousse Moussa Mbaye.

 

 

 

SCENE II

 

 

AWA NDIAYE, MOR LAM, MOUSSA MBAYE

 

 

MOUSSA MBAYE, entrant exubérant, familier

 

 

         Assalamou aleykoum ! Vaye vaye Mor a nghi vaye ! … mon plus-que-frère ! Awa Ndiaye, notre épouse, as-tu la paix ?

 

 

AWA

 

 

         La paix seulement Mbaye.

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Ndiaye Diatta notre épouse si bonne, na gha deff ?

 

 

AWA

 

 

         Ma nghi fi rék Mbaye, en paix seulement.

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Ndiaye !

 

 

AWA

 

 

         Mbaye, ana va keur gha ?

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Gna ngha fa Ndiaye, tout le monde est là-bas.

 

 

AWA

 

 

         Mbaye !

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Ndiaye !

Il se tourne vers Mor Lam, lui met la main sur l’épaule.

         Alors Mor, mon frère, comment vas-tu ?

 

 

MOR LAM , furieux

 

 

         Bien ! Bi-en ! …

 

 

MOUSSA MBAYE , plus qu’aimable

 

 

         Et comment va la maison, mon frère ? …

 

 

 

MOR LAM , plus que furieux

 

 

         Très, très, trrès, trrrèès bien ! …

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Et comment va le village ?

 

 

MOR LAM

 

 

         Je n’en sais rien.

Moussa Mbaye va s’asseoir sur la natte.

MOR LAM , le regarde toujours furieux, puis appelle Awa.

 

 

 

AWA

 

 

         Nam Lam.

 

 

MOR LAM

 

 

         Va ma chercher une autre natte.

 

 

AWA

 

 

         Waw Lam.

         Elle va vers la case de droite. Mor Lam la rejoint, se penche.

 

 

 

MOR LAM

 

 

         Où est l’os ?

 

 

AWA

 

 

         L’os est là-bas.

 

 

MOR LAM

 

 

         S’est-il amolli ?

         Awa rentre dans la case, ressort avec une natte, va vers Mor Lam debout à quelques pas.

         Il s’est amolli.

         Elle va étaler la natte près de Moussa Mbaye qui est étendu sur l’autre natte, coude droit au sol et la tête dans la paume de la main et qui regarde Mor Lam qui va et vient sans arrêt.

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Et qui y’a t-il de nouveau dans le pays, Mor ?

 

MOR LAM, soulignant en gestes larges

 

 

         Rien…dara… Touss ! …

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Eh bien ! Ce n’est pas comme chez nous, mon frère ! Bounama est mort !

         Parfaite indifférence de Mor Lam à la nouvelle.

         Mais si ! Vaye ! Rappelle-toi, Bou-na-ma, Bounama Diop, le domou haram, le bâtard qui faisait rougir au feu ses lingués avant de nous frapper et de nous les frotter sur l’échine. Souviens-toi… Il ne posait que des devinettes, des passines indéchiffrables que nous ne pouvions jamais dénouer.

 

 

MOR LAM

 

 

         Hon ! hon !

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         C’est lui qui crachait toujours dans les calebasses qui contenaient les plats les plus appétissants. Rappelle-toi vaye ! Il nous forçait toujours à ramasser des branches d’épineux pour faire les fagots de bois mort du soir pour les kassaks.

 

 

MOR LAM

 

 

         C’est possible… Hau !…

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Mais si vaye ! Souviens-toi bien. C’est lui qui t’avait forcé à grimper sur l’acacia pour cueilli un essaim et qui ne nous avait laissé que la cire fondue et les cadavres d’abeilles quand tout était cuit et le miel récolté.

 

 

MOR LAM

 

 

         C’est possible…

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Et Médoune ? Te souviens-tu de Médoune ? Médoune Ngom ?

 

 

MOR LAM

 

 

         N-on !…

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Mais si vaye yovitt ! Médoune le grand talibé, chez Serigne Fall, notre maître à l’école coranique. Celui qui nous prenait toujours le meilleur de ce que nous rapportions comme aumône, riz au poisson, couscous ou bouillie de mil au tamarin.

 

 

MOR LAM

 

 

         Heumm !

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Mais si ! Fatali Koul toi aussi ! Il fallait toujours qu’on lui donne cent cacahuètes bien comptées avant d’avoir le droit d’en croquer une seule quand nous allions glaner. Sans quoi quels coups de poing nous recevions les uns et les autres. Tu ne te souviens plus de lui ? Mor ?

 

 

MOR LAM

 

 

         Peut-être…

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Tiens ! tu ne te souviens au moins du soir où Sa-dagga le Mbandakatt t’a demandé tes lingués, tes baguettes, toi le toko le benjamin de la case des hommes et nous a tenus toute la nuit avec ses kassaks dansés. Quel événement ! Ce soir-là on n’a pas chassé les femmes et les jeunes filles qui venaient écouter derrière la case. Cela ne s’était jamais vu de mémoire de botal. Aucun maître des circoncis n’avait jamais toléré ça. Tu t’en souviens au moins ?

 

 

MOR LAM

 

 

         Non !

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Tu ne te souviens pas non plus du jour où nous avons suivi notre maître Serigne Fall au village de Ndianghène ?

 

 

MOR LAM

 

 

         N-on !

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Mais si ! Vaye yovitt ! Rappelle-toi vaye ! Il faisait aussi chaud qu’aujourd’hui, tiens ! Et comme aujourd’hui nous n’avions encore rien mangé à cette heure-ci.

 

 

MOR LAM

 

 

         Cela a pu être.

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Mais si ! Rappelle-toi. Nous trottions derrière le cheval de Serigne Fall. Et tu avais beau t’accrocher à la queue du cheval, il avait fallu que je te soutienne en arrivant à Ndianghène.

 

 

MOR LAM

 

 

         C’est possible.

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Et oui ! Nous avons beau dire et beau faire, nous avons beau penser à ce qui faisait notre malheur et nos chagrins en ces temps-là. Nous en gardons un bon, un excellent souvenir quand même.

         Cela nous a servi à devenir ce que nous sommes aujourd’hui. Des hommes courageux, bons, serviables, généreux, charitables, jamais oublieux . Non ! Jamais oublieux de nos devoirs réciproques de nos obligations mutuelles. Jamais ! Jamais ! Jamais oublieux.

         N’est-ce pas, Mor ?

 

 

MOR LAM

 

 

         Hou khou …

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Entre frères-de-case tout ce qui peine l’un, fait du mal à l’autre.

         N’est-ce pas Mor ?

 

 

MOR LAM

 

 

         Sans doute.

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Et qui s’attaque à l’un fait du tort à l’autre . N’est-ce pas Mor ?

 

 

MOR LAM

 

 

         Certainement.

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Entre mbok-mbar tout ce qui est à l’un appartient à l’autre . N’est-ce pas Mor ?

 

 

MOR LAM

 

 

         Peut-être…

         Silence, un temps.

 

 

MOR LAM ,

 

Se lève, s’approche de Awa assise devant la porte fermée de la cuisine. Et demande doucement :

         Où est l’os ?

AWA,

 

 

Se lève, rentre dans la case. Ressort un instant après et dit à voix basse :

         L’os est là.

 

 

MOR LAM, de même

 

 

S’est-il amolli ?

 

 

AWA, de même

 

 

         Il s’est amolli.

         Mor Lam, retourne s’asseoir sur la natte. Awa sur son tabouret.

         Un temps, silence, puis appel du muezzin pour la prière de Tisbar.

 

 

 

 

RIDEAU

 

 

 

 

 

 

SCENE III

 

 

MOR LAM et MOUSSA MBAYE , assis sur les nattes.

De dos AWA, derrière eux. Ils achèvent la prière.

 

 

         Assalamou Aleykoum !

 

 

MOUSSA MBAYE, égrène son chapelet

 

 

MOR LAM, se lève, se retourne et rejoint AWA

 

 

         Où est l’os ?

 

 

AWA,

 

 

Se lève, rentre dans la case, en ressort un instant après.

L’os est là-bas.

 

 

MOR LAM

 

 

S’est-il amolli ?

 

 

AWA

 

 

Il s’est amolli.

 

 

 

MOR LAM

 

 

        

         S’est-il bien amolli ? (dans sa barbe) Ce Moussa, domou haram dji, ce fils de malheur, ce chien ne va pas s’en aller. Awa je vais tomber malade.

 

 

AWA

 

 

         Quoi ? Ngha né lane ? que dis-tu ?

 

 

MOR LAM

 

 

         Je… Vais… tomber malade. Je te dis que je suis … malade.

         Il tremble de tout le corps et tombe raide.

 

 

AWA, criant

 

 

         Voye yaye ôô ! Voye mane ! Li lane la ? Qu’est ceci ? Moussa ! Moussa MBAYE, ton frère est malade.

 

 

MOUSSA MBAYE , tournant la tête

 

 

         Quoi ? Mor malade, kagne ? Et depuis quand ?

 

 

AWA

 

 

         Tout de suite, fi sassi, à l’instant. Regarde-le. Il tremble et transpire comme une gargoulette d’eau pendue à l’ombre. Regarde-le ! Il grelotte et frissonne comme le lait qui va bouillir !

 

 

MOUSSA MBAYE , se lève et s’approche

 

 

         Ce n’est rien. Ce doit être un petit accès de sibirou seulement bien que nous ne soyons pas encore à l’époque des crises de paludisme.

 

 

AWA

 

 

         Aide-moi, Moussa. Il ne faut pas laisser ton frère ici en plein soleil, transportons-le dans la case.

         Ils le soulèvent par les aisselles et se dirigent vers la case de droite.

 

 

MOR LAM , soufflant et geignant

 

 

         Pas par-là, pas de ce côté, pas dans cette case. Dans l’autre. Il y fait plus frais.

         Awa et Moussa, transportent Mor Lam dans la case de gauche, ils le couchent sur le lit.

 

 

AWA,

 

 

Couvre son mari avec des pagnes pris dans la malle. Elle pleure et se lamente.

         Vouye ya ye ye ! Voye mane ! Voye sa ma ndèye. Mor li lane la…

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE IV

 

 

 

 

         Même décor, la nuit.

         MOR LAM , couché sur le lit, dans les pagnes jusqu’au cou.

         AWA a son chevet.

         MOUSSA MBAYE , à ses pieds.

 

 

 

SCENE I

 

 

MOUSSA MBAYE , se lève, s’étire longuement et sort de la case. Il fait quelques pas dans la cour en égrenant son chapelet.

 

 

MOR LAM , soulève la tête

 

 

         Awa Ndiaye !

 

 

AWA

 

 

         Nam Lam !

 

 

MOR LAM

 

 

         Où est l’os ?

 

 

AWA

 

 

       L’os est là-bas.

 

 

MOR LAM

 

 

         S’est-il amolli ?

 

 

AWA

 

 

         Il s’est amolli.

 

 

MOR LAM

 

 

         S’est-il bien amolli ? Il s’est bien amolli ?

 

 

 

AWA

 

 

Il s’est bien, bien amolli.

 

 

MOR LAM

 

 

         As-tu éteint les braises ?

 

 

AWA

 

 

         Les braises sont éteintes.

 

 

MOR LAM

 

 

         Où est Moussa ?

 

 

AWA, sort, puis revient

 

 

         Moussa est dans la cour, près de la porte.

 

 

MOR LAM

 

 

         Domou haram dji, cet enfant de malheur, ce chien ne s’en va pas, dou dème, ne veut pas s’en aller. Awa, je vais mourir.

 

 

AWA

 

 

         Ngané lane ? Que dis-tu ?

 

 

MOR LAM

 

 

         Je vais… mourir ! Il sera bien forcé de s’en aller. (Il retombe sur le lit) Je suis mort !

 

 

AWA, hurlant

 

 

         Moussa, Moussa Mbaye ! Manèye ! moussa, ton frère ! Vouye sa ma ndèye ! Vouye mane èye ! Moussa, Moussa ton frère ! Ton frère Mor est mort !…

 

 

MOUSSA, arrive sans se presser devant la case

 

 

         Lou khève ?

 

 

AWA

 

 

         Regarde-le. Il est mort. Il est déjà raide.

 

 

MOUSSA MBAYE , incrédule

 

 

         Dé khatt, fissassi ? Là, tout de suite , Mort ? Ce n’est pas possible vaye !

 

 

AWA

 

 

         Je te dis qu’il est mort, décédé !

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Bismalaï djam ! Khalo ! Nous ne sommes pas grand-chose sur cette terre ! Doune ya khouroroune ! Vaye, vaye sa mbok-mbar mi vaye ! Mor Lam mort si vite, dé xaat ? Que dieu ait pitié de toi. Et qu’il ne se presse pas pour nous.

 

 

AWA, en pleurs

 

 

         Moussa, va chercher Serigne dam, Mame Magatte et les gens du village.

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Jamais de la vie ! Jamais ! Jamais je n’abandonnerais mon plus-que-frère à cette heure-ci même et surtout mort. Ni toi non plus toute seule près de son cadavre.

         La terre n’est pas encore froide. Le premier coq n’a pas encore chanté.

         Je ne vais pas ameuter tout ce village où je ne suis qu’un étranger, en pleine nuit, au risque d’attirer les djinnés, de faire venir les deums, les sorciers dans ta maison.

         Nous allons veiller ce cadavre tous les deux seuls, comme nous le devons. Nous qui sommes, je veux dire : nous qui fûmes les êtres qui lui furent les plus chers.

         Le jour se lèvera, Inch Allah ! Les femmes passeront par ici je crois pour aller au puits. Sois certaine qu’elles se chargeront d’annoncer bien vite cette triste nouvelle à tout le pays.

         En attendant, prions pour lui, pour que Dieu lui donne sa part de paradis.

         Prions pour mon frère.

         Il s’assied par terre devant la case et commence à égrener son chapelet.

 

 

 

RIDEAU

 

 

        

 

Un temps. Appel du muezzin à la prière de Fadjar.

Bruits et rumeurs dans le village qui s’éveille.

Chants des coqs.

Braiments des ânes.

Puis voix de femmes.

 

 

 

SCENE II

 

 

 

VOIX DES FEMMES, en coulisse

 

 

         Awa.

         Awa Ndiaye.

         Tu viens au puits ?

 

 

AWA, sort de la case en hurlant

 

 

         Vouye mane èye, vouye mane ! Mor mon mari est mort !

 

 

OUMI GUEYE et des FEMMES,

 

 

         Entrent dans la cour, calebasses et canaris sur la tête ou sous les bras.

 

 

OUMI

 

 

         Ngané lane ! Que dis-tu ? Vaxal djam !

 

 

AWA

 

 

         Mor est mort, décédé !

 

 

LES FEMMES

 

 

         Quand ?…Kagne ?…

 

 

AWA

 

 

         Cette nuit ! Vouye mane ! Vouye mane èye !…

 

 

OUMI GUEYE

 

 

         Mô yène ! Et de quoi est-il mort ?

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

 

         Hèye ! Criez moins fort ; Parlez plus doucement. Et de quoi meurt-on ? C’est Dieu qui tue son esclave. Yalla moye rèye djame mam. C’est Dieu qui l’a rappelé à LUI. C’est tout. Il en fera de même de nous tous. Chacun son heure. Celle de mon frère est arrivée. Allez chercher Serigne Dam et vos hommes.

 

 

         Les femmes sortent.

 

 

SCENE III

 

 

       AWA et MOUSSA MBAYE , dans la cour.

         Le cadavre de MOR LAM , dans la case.

 

 

AWA,

 

Rentre dans la case. Elle se penche sur le lit.

 

 

         Mor Lam, djogueul, lève-toi. La chose devient sérieuse et va nous déborder des mains. Tout le village va venir dans la maison.

 

 

MOR LAM

 

 

         Où est l’os ?

 

 

AWA

 

 

         L’os est là-bas.

 

 

MOR LAM

 

 

         S’est-il amolli ?

 

 

AWA

 

 

         Il s’est amolli ?

 

 

MOR LAM

 

 

         S’est-il bien amolli ?

 

 

AWA

 

 

         Il s’est bien amolli.

 

 

MOR LAM

 

 

         Et Moussa, où est-il ?

 

 

AWA

 

 

         Moussa est toujours là.

 

 

MOR LAM

 

 

         Laisse venir le village.

 

 

 

 

 

 

SCENE IV

 

 

SERIGNE DAM et les NOTABLES ? entrent dans la cour.

 

 

SERIGNE DAM

 

 

         Assalamou aleykoum !

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Malikoum Salam.

 

 

SERIGNE DAM

 

 

         Que venons-nous d’apprendre ? Que Mor Lam est mort ?

 

 

MOUSSA MBAYE

 

 

         Djabar djè ko vax dé. C’est sa femme qui dit qu’il est mort, qu’il est mort avant le premier chant du coq. Je n’ai pas assisté à son agonie.

         J’étais dans la cour en train d’égrener mon chapelet, là où nous nous tenons.

 

 

SERIGNE DAM

 

 

       Khalo nari lahi !

 

 

AWA, sortant de la case

 

 

         Serigne dam Hi-hi ! Vouye mane ! Mon mari est mort vouye ! Que vais-je devenir ?

 

 

LES NOTABLES

 

 

         Cela s’est bien vite passé.

         Ndéyssane !

         Vaye vaye, Mor vaye !

         Bismilahi djam.

 

 

 

SERIGNE DAM

 

 

         Khalo ! Que Dieu ait pitié de lui. Nous allons lui faire sa toilette.

         Il se dirige vers la case.

 

 

 

AWA, lui barrant le chemin

 

 

         Oui, Serigne dam, oui ! Mais attendez Serigne que je range, que je mette de l’ordre dans la case.

 

         Elle rentre dans la case, se penche sur le lit.

 

 

         Mor Lam lève-toi, djogal. L’affaire devient trop grave, Serigne Dam est là avec les hommes. Ils vont venir te laver.

 

 

MOR LAM

 

 

         Où est l’os ?

 

 

AWA

 

 

         L’os est là-bas.

 

 

MOR LAM MOR LAM

 

 

S’est-il amolli ?

 

 

AWA

 

 

Il s’est amolli .

 

 

MOR LAM

 

 

Fongg na bou bax ?

 

 

AWA

 

 

Il s’est bien amolli.

 

 

MOR LAM

 

 

Où est moussa Mbaye ?

 

 

AWA

 

 

Moussa Mbaye est encore là.

 

 

MOR LAM

 

 

Qu’ils viennent me laver.

 

 

AWA, sort de la case en larmes

 

 

Serigne Dam, bismila, entrez.

 

 

 

SERIGNE DAM et DEUX HOMMES entrent dans la case.

 

 

AWA, ferme la porte

 

 

            Conversations à voix basse des Notables avec moussa Mbaye.

 

 

 

 

 

SCENE V

 

 

 

OUMI GUEYE et des FEMMES, entrent dans la cour.

LES MEMES.

 

 

 

OUMI GUEYE

 

 

Hier encore il était droit comme un piquet… Un piquet d’épineux.

 

 

PREMIERE FEMME

 

 

Il est bien vite parti.

 

 

DEUXIEME FEMME

 

 

Quel homme généreux c’était !

 

 

OUMI GUEYE, toisant la femme

 

 

Tu le connaissais bien, toi ? parler de sa générosité. Il est vrai que tous les morts emportent avec eux tous leurs défauts et leurs vices et ne nous laissent que leurs vertus et leurs qualités.

Elles entourent Awa Ndiaye.

 

 

 

PREMIERE FEMME

 

 

Le Bon Dieu ne fait que ce qui lui plait, Karim là.

 

 

OUMI GUEYE, LES FEMMES

 

 

Nos condoléances, Awa, sighil ndighalé Ndiaye, Massa Ndiaye, courage Awa !

 

 

 

SERIGNE DAM, sortant de la case, suivi des Hommes

 

 

Donne-nous le linceul.

 

 

 

AWA

 

 

Oui, Serigne. Il y a une pièce de percale dans la grande malle de mon pauvre mari. Il l’avait achetée à un dioula il y a longtemps. Il attendait toujours pour s’en faire un boubou. Je vous l’apporte.

 

 

SERIGNE DAM

 

 

Dieu seul sait ce qu’il veut. Mais il n’en faut que sept coudées.

 

 

AWA

 

 

Oui Serigne DAM.

Elle rentre dans la case. Se penche sur le lit.

Mor Lam, lève-toi, tu exagères, djogal ! Ils vont venir t’ensevelir katt ! Ya nghi heupeul sollo bi !

 

 

MOR LAM

 

 

Où est l’os ?     

 

AWA

 

 

         L’os est là-bas.

 

MOR LAM

 

 

S’est-il amolli ?

 

 

AWA

 

 

Fongg na.

 

 

MOR LAM

 

 

Fongg na bou bax ?

 

 

AWA

 

 

Il s’est bien amolli.

 

 

MOR LAM

 

 

Et où est Moussa Mbaye ?

 

 

AWA

 

 

Moussa MBAYE est toujours là.

 

 

MOR LAM

 

 

Laisse qu’il m’ensevelissent.

 

 

AWA, sort de la case

 

 

Serigne Dam, bismila, entrez.

Serigne et les Hommes entrent dans la case.

Un temps.

Ils ressortent.

 

 

 

SERIGNE DAM, aux hommes

 

 

Allez chercher la planche et le cercueil.

 

 

AWA, courant vers Serigne Dam

 

 

Serigne Dam, Serigne, attendez, xar lène, nèk lène touti, attendez un peu.

Serigne, mon mari m’avait recommandé de réciter sur son cadavre si par malheur il mourrait avant moi, une sourate qu’il m’avait apprise, pour que Dieu ait encore davantage pitié de lui.

 

 

SERIGNE DAM

 

 

         Va mon enfant, va prier pour lui. Va prier pour lui. Les morts ont toujours besoin de nos prière. Nul ne sait ce qui les attend. Ni ce qui nous attend.

 

 

 

AWA,

 

Rentre dans la case, se penche sur Mor Lam.

Mor Lam lève-toi, leuf li heuppeu neu, c’est trop ! tu dépasses les bornes ! Ils vont venir te mettre sur la planche. Ils vont te couvrir avec le cercueil et mon pagne de tjavali que je vais leur donner.

Elle fouille dans la malle.

 

Ils vont t’emporter. Ils vont prier sur toi… Ils vont t’emporter au cimetière… Ils vont t’enterrer !…

 

 

MOR LAM , à travers son linceul

 

 

Où est l’os ?

 

 

AWA, sanglotant

 

 

L’os est là-bas.

 

 

MOR LAM

 

 

S’est-il amolli ?

 

 

AWA

 

 

Il s’est amolli.

 

 

MOR LAM

 

 

S’est-il bien amolli ?

 

 

AWA

 

 

Il s’est bien amolli. Fongg na bou bax.

 

 

 

MOR LAM

 

        

 

         Et où est Moussa Mbaye ?

 

 

 

 

AWA

 

 

Moussa Mbaye est encore là.

 

 

MOR LAM

 

 

Laisse qu’on me mette sur la planche. Laisse qu’on me couvre du cercueil et de ton pagne de tjavali. Laisse qu’on prie sur moi. Laisse qu’on m’emporte au cimetière…J’espère que ce fils de malheur, que ce bâtard, ce fils de chien partira enfin de ma maison.

 

 

 

RIDEAU

 

 

Le temps de la levée du corps.

 

 

 

SCENE VI

 

 

 

Même décor.

Dans la cour AWA en deuil, tête voilée d’un pagne.

LES FEMMES autour de AWA, OUMI GUEYE.

En coulisse : fin de la prière des morts, litanies, bruits, murmures.

 

 

OUMI GUEYE, venant de dehors

 

 

Presque tous les hommes du village sont venus. Ils ont fini de faire la prière sur la place devant la maison. Ils vont maintenant l’emporter au cimetière.

AWA se lève, bouscule les femmes et court en hurlant.

Serigne Dam ! Serigne Dam ! Serigne !

 

 

 

SERIGNE DAM, apparaît à la porte

 

 

Qu’y a-t-il Awa Ndiaye mon enfant ?

 

 

AWA

 

 

Serigne, Serigne Dam, Khare lène, attendez. Serigne Kharal ! Mon mari m’avait suppliée de dire sur son cercueil après la prière de tout le monde, une dernière sourate, une dernière prière qu’il m’avait fait apprendre, pour que Dieu nous pardonne lui et moi tout le mal que nous aurions pu faire sur terre ; tous les manquements que nous aurions pu commettre ici-bas. Il m’avait assuré qu’il en aurait fait autant pour moi, si j’étais partie avant lui.

 

 

SERIGNE DAM

 

 

Viens mon enfant.

Serigne Dam soutient Awa. Ils sortent.

Un temps.

 

 

VOIX DE AWA , en coulisse

 

 

Mor Lam lève-toi ! Mor Lam djogheul ! Lève-toi Mor LAM, tu exagères !

 

 

OUMI GUEYE

 

 

Mô yène mais Awa Ndiaye devient folle katt ! Voilà qu’elle parle à un cadavre. Doff na katt !

 

 

VOIX DE AWA, en coulisse

 

 

L’os est là-bas…

Il s’est amolli…

Il s’est bien amolli…

Moussa est toujours là…

 

 

LES FEMMES

 

 

Ndeyssane ! La pauvre !

 

 

 

OUMI GUEYE

 

 

 

Awa Ndiaye reviens ici, les femmes ne suivent pas les enterrements dé !

 

 

 

AWA, revient en sanglotant

 

 

Vouye mane, voye èye !

 

 

RIDEAU

 

 

 

 

QUATRIEME TABLEAU

 

 

            La tombe de MOR LAM

 

 

SCENE UNIQUE

 

 

            Obscurité. Puis bruits de tonnerre et des éclairs.

 

 

VOIX DE MOR LAM, couché, dans son linceul

 

Mô vaye ! Qu’est-ce que c’est que ça ? Li lane la ?

Une apparition.

Bruits de tonnerre. Eclairs.

 

VOIX DE MOR LAM, pleine de terreur

 

Ki kana, ki kane la ? Qui es-tu , Ki ka na ? Voye sa ndèye ! Qui es-tu u uu !?

 

UNE VOIX FORTE, PROFONDE, tombant du ciel

 

C’est moi Abdou Djambar ! Abdou Djambar, l’Ange de la mort.

 

MOR LAM, déchirant son linceul

 

Abdou Djambar ! L’Ange de la Mort ? Mais je ne suis pas mort kaat, hein ! C’est un os qui m’emmène ici ! Lâche ce gourdin, lâche ton boldé. Un os.

 

ABOU DJAMBAR, le poursuivant à coups de gourdin

 

Un os ?

 

 

MOR LAM, se cognant à tous les coins de sa tombe.

 

Je te dis que c’est un os ! Un OSS ! un OSSSSSSSS.

RIDEAU

 

EPILOGUE

 

 

Même décor. La cour de la demeur de Feu MOR LAM . MOUSSA MBAYE , SERIGNE DAM, LES NOTABLES debout dans la cour. AWA NDIAYE, OUMI GUEYE, DES FEMMES dans la case de gauche.

 

SCENE I

 

 

SERIGNE DAM, MAME MAGATTE et MBAR DIAGNE s’écartent du groupe et au fond de la cour se concertent un instant.

 

SERIGNE DAM, revient auprès de Moussa Mbaye

 

Moussa Mbaye !

 

MOUSSA MBAYE

 

         Nam, waw Serigne !

 

SERIGNE DAM

 

         Moussa Mbaye, tu fus le frère, plus que le frère, le plus-que-frère de feu Mor Lam…

 

 

 

LES NOTABLES, qui les ont rejoints

 

- Deug-leu.

-         C’est vrai !

-         Ate satt !

-         C’est la vérité.

 

SERIGNE DAM

 

       Awa Ndiaye est encore jeune. Elle ne peut pas, elle ne doit pas rester toute seule…

 LES NOTABLES

         C’est vrai, Serigne Dam, c’est la vérité, deug leu…

SERIGNE DAM

         Elle ne peut pas passer en de meilleures mains que les tiennes. Elle ne peut avoir d’abri plus sûr que ton toit.

LES NOTABLES

         Ate satt, c’est vrai, deug leu Serigne Dam !

SERIGNE DAM

         Donc son veuvage terminé, c’est à dire dans soixante jours, tu la prendras pour femme. Elle sera pour toi, nous en sommes sûrs, une très bonne épouse, une excellente compagne. Qu’en dites-vous mbok yi ?

MAME MAGATTE

 

         Rien que du bien, lou bax rék.

 

MBAR DIAGNE

 

         Lo lo wara am, c’est ce qui doit être, donc ce qui doit se faire.

 

LES NOTABLES , s’en allant

 

         Waw kaye . C’est parfait ainsi.

         C’est très bien ainsi… Lo lo bax vaye…

         Salaw... Amine vaye...

 

SCENE II

 

MOUSSA MBAYE , maintenant tout seul dans la cour.

Appelle d’une voix forte.

 

 

Awa Ndiaye yo !

 

 

 

AWA, dans la case avec les femmes

 

Nam, Mbaye.

 

 

MOUSSA MBAYE

 

Viens ici, kaye fi !

 

AWA, sort de la case, le pagne de deuil sur la tête et les épaules.

 

Me voici Mbaye, ma nghi Mbaye.

 

MOUSSA MBAYE

 

Où est l’os ?

 

AWA, indiquant de la main la case de droite

 

L’os est là-bas.

 

MOUSSA MBAYE

Apporte-le et qu’on en finisse.

 

 

RIDEAU

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