sound1Archives sonores de la littérature noire
Radio France Internationale 14 Avril 1979.

L'Homme et son temps, entretien par Ibrahima Baba Kaké
Partie 1 Partie 2

 Interview avec Birago Diop par Mohamadou Kane 1971


M. Kane : On sait que votre intérêt pour la littérature remonte à votre passage au lycée Faidherbe. Quelle influence s'est plus particulièrement exercée sur vous pour vous conduire parallèlement à vos études de médecine vétérinaire, à faire des vers et des contes ?

B. Diop : Il n'y a jamais eu de rapport, de cause à effet, entre mes études vétérinaires et ce que l'on peut appeler ma vocation littéraire.

Je me suis fait vétérinaire par nécessité. Parce que le montant de l'hypothèque de la maison familiale ne suffisait pas pour me permettre d'entreprendre et achever les études de médecine humaine pour lesquelles j'étais parti en France après les mois de service militaire passés à l'hôpital de Saint-Louis du Sénégal.

Les vers écrits durant mes études vétérinaires sont du premier exil européen commencé avec l'année du P.CN. et prolongeant les " rêves d'adolescent y du lycée Faidherbe (Vernale, Tourment, Misère , Fin d'Année).

Les Décalques y sont nés plutôt de la fréquentation de Paul Valéry et non de Rimbaud (comme le dit R. Pageard)... ni de la vague surréaliste qui déferlait alors... mais surtout pour les Parisiens. Je m'abritais toujours derrière Musset, mon maître depuis le lycée.

Ces vers, comme le conte de Noël "La sortie manquée " et les comptes rendus de bal, publiés dans " l'Echo des Etudiants de Toulouse " auraient pu être enfantés aussi bien sur le chemin de la faculté des sciences que sous les arcades de l'École dont chacun des trente-six piliers correspondait à un mois des quatre années scolaires que durent les études vétérinaires.

En ce qui concernerait une influence majeure sur ma quête littéraire, deux événements m'ont marqué " parallèlement à mes études " : la mort de mon frère Massylla Diop et la parution de la Revue du Monde noir, qui m'apprirent ce qu'il fallait empêcher de mourir, ce qu'il fallait faire renaître, ce qu'il importait de faire vivre.

M. K. : Pensez-vous que votre oeuvre aurait été différente si vous aviez pu embrasser le métier d'écrivain, ou bien pensez-vous que d'exercice du métier de vétérinaire a enrichi votre oeuvre, et comment ?

B. D. : Pas plus que mes " études vétérinaires ", mon métier de vétérinaire n'a eu une influence notable dans mon œuvre littéraire. Si ce n'est, bien sûr, dans la mesure où mes fonctions de " veto colonial " m'ont permis d'être mieux et plus en contact avec la brousse, gens et nature, au cours de tournées (à cheval, à pied, à bicyclette, plus tard en voiture), de vingt à vingt-sept jours par mois ; à la recherche des éleveurs et des bergers méfiants ; à la poursuite des troupeaux vagabonds. Mais les séjours dans les villages, les haltes dans les campements, étaient également le lot des agriculteurs, des forestiers et des chefs de subdivision.

M. K. : Y a-t-il un rapport étroit entre votre qualité de docteur vétérinaire et votre amour pour les contes, des animaux et des hommes, bien sûr ?

B. D. : Je ne le pense pas. Bien mieux - ou pis - j'ai cessé d'écrire lorsque je suis devenu un " vrai vétérinaire >, c'est-à-dire un praticien en contact avec sa clientèle animale. Naguère, j'étais un " vétérinaire-stylo ", faiseur de rapports de tournée - mensuels, trimestriels, annuels comme tout fonctionnaire d'autorité.

Une des rares fois où, maniant la seringue, je rivalisais avec mes infirmiers et mon surveillant d'élevage, au cours d'une séance de vaccination sur les rives du Diaka, je m'étais fait rappeler à l'ordre par mon chef de service qui m'avait rejoint en brousse au cours de sa tournée d'inspection. Je n'avais pas à mettre la main à la pâte - ce n'était pas le travail du chef de circonscription que j'étais.

Bien peu des bêtes de mes contes relèvent de la clinique vétérinaire. Mon amour, disons ma " compréhension " des animaux, s'arrête au cheval et au chien. Les seuls que je soigne " avec le cœur " et non seulement " avec la tête ".

M. K. : Comment expliquez-vous l'unité de votre œuvre la continuité qui s'établit, comme d'elle-même, de vos contes à vos poèmes?

B. D. : S'il y a une unité dans mon œuvre et une continuité entre ma prose et mes vers, il vaudrait mieux alors inverser l'ordre des facteurs et parler de la continuité de mes poèmes à mes contes. Parce que j'avais écrit tous ou presque tous les poèmes qui composent Leurres et Lueurs et bien d'autres, quand j'ai commencé en 1943 à mettre les Comtes d'Amadou Koumba sur le papier.

Pour établir cette unité, il faudrait ne tenir compte que de la dernière partie de mon recueil de poèmes (" Réminiscences ", " Lueurs ") et laisser de côté peut-être l'autre âme du poète dont parle R. Pageard', celle à " la sentimentalité intimiste ". Ceci fait, on retrouvera dans les contes comme dans les poèmes les mêmes sources : paysages, croyances... J'ai même " commis " naguère (et déchiré) des contes en vers.

M. K. : Pourquoi ne vous êtes-vous jamais essayé au roman ? Vous avez cependant adapté l'un de vos contes à la scène. Est-ce que, à vos yeux, la parenté entre le conte et le théâtre est plus nette qu'entre le conte et le roman ?

B. D. : C'est sans doute une question de " souffle ", car je suis naturellement " taciturne " et " d'esprit synthétique ". Et Boileau m'a marqué depuis le lycée

qui ne sut se borner ne sut jamais écrire.

Par ailleurs, il me semble que le roman ne peut être qu' " ordinaire " et " croyable ", et frappe moins que le merveilleux ou l'insolite du conte.

Pour ce qui est de la parenté théâtre-conte, Senghor, dans sa préface des Nouveaux Contes, l'a bien dit : " Le conte et surtout la fable se présentent comme des drames. " Et aux veillées, tous les contes se jouent.

M. K. : Vous vous êtes toujours posé en disciple fidèle d'Amadou Koumba N'Gom. ]'ai montré ailleurs l'évolution profonde qui se dessine des Contes d'Amadou Koumba aux Contes et Lavanes, à travers, bien sûr, les Nouveaux Contes d'Amadou Koumba. Dans le premier recueil, vous vous accommodez de la tradition qui aurait pu constituer un cadre étroit ; dans le record, vous alliez un respect constant de la tradition à un remarquable esprit novateur qui rouvert confine à la fantaisie; enfin dans le dernier, vous pratiquez avec bonheur l'équilibre du fonds africain et des acquisitions nouvelles. D'autre part la virtuosité dont vous faner preuve dans la variation des structurer, des tons, la tentative de création originale que constitue " Sarzan ", tout montre que vous pouvez fort bien voler de vos propres ailes, créer vos propres contes. Pourquoi vous êtes-vous si rarement laissé tenter ? N'envisagez-vous par, aujourd'hui que la preuve est faite et refaite de votre excellente assimilation des leçons d'Amadou Koumba N'Gom, de donner un visage nouveau de votre œuvre, de paner au " stade suprême " de la narration, au roman, dont après tout, contes et nouvelles constituent souvent l'antichambre ?

B. D. : Amadou Koumba N'Gom n'a été qu'un prête-nom, un pavillon commode pour couvrir presque toute la marchandise que j'ai essayé de présenter et qui m'est venue de plusieurs sources, depuis l'enfance jusqu'au " Retour au Bercail >, après mes longues randonnées, mes multiples rencontres et mes innombrables haltes. Et au bout de la route, Amadou Koumba s'appelait Youssoufa Diop, d'où " cet équilibre du fonds africain et des acquisitions nouvelles " dont mon frère présentait le type le plus réussi que j'aie connu. Paresse ou humilité, je pense encore que le fonds qui m'a été fourni suffirait amplement pour témoigner en quelque manière. D'autant plus que je crois y avoir souvent mis plus que je n'avais reçu. Je ne considère pas le roman comme " le stade suprême de la narration ", ni que contes et nouvelles en soient l'antichambre. Tout est question de " densité " du récit et de " consistance " des types qui " jouent " ou sont " joués ".

M. K. : Comment expliquez-vous votre attachement aux formes les plus classiques de la poésie, le sonnet, la rime, etc. La faveur du public va pourtant à ceux de vos poèmes, " Viatique ", " Souffles ", etc., qui doivent le plus aux formes d'expression poétique contemporaine.

B. D. : Disons que c'est chez moi une sorte de tare, de vice, d'intoxication que cet esclavage de la rime. " Je n'entends " des vers que rimés, venant de moi ou d'un autre - je n'ai jamais su ni citer, ni réciter un poème en vers libres. Cependant le sujet de mon premier bac fut

" Il est des écrivains dont on dit qu'ils sont des poètes en prose... " Mais Victor Hugo aussi m'avait marqué qui affirme que

Le poète en prose, en vers est prophète.

Faut-il revenir encore à Boileau sans outrecuidance ?

Un sonnet sans défaut...

Quant à la faveur de mon public, il n'est pas du tout prouvé qu'elle aille " aux poèmes d'expressions poétiques contemporaines " auxquelles " Souffles " par exemple ne doit rien car c'est un de mes poèmes les plus rimés. Je citerais également " le Chant des rameurs ", auprès des écoliers.

M. K. : Vous avez composé des contes à un moment où manifestement la poésie et le roman occupent le sommet de la pyramide des genres, surtout ce dernier, qui pour plusieurs raisons atteint plus vite et plus sûrement un public qui n'a plus beaucoup de temps à consacrer à ses loisirs. Est-ce parce que le conte emprunte à tous les autres genres, ou bien parce que ce genre est encore vivant en Afrique et en Occident, ou plutôt parce que le conte serait le genre qui illustre le mieux la richesse des civilisations traditionnelles en témoignant de leur possibilité de " modernisation " ?

B. D. : Pour moi, le roman d est qu'un conte plus ou moins " délayé " et " dilué " où la personnalisation des sujets et des objets amortit les caractères majeurs des " Types " (bêtes, choses et gens) des récits traditionnels qui ont toujours condensé tous les autres genres pour manifester les éléments - positifs et négatifs - des civilisations passées ou en voie de mutation.

M. K. : D'une façon générale, vos contes sont originaires de votre pays natal ou de pays où vous a conduit d'exercice de votre métier de vétérinaire. Pourquoi n'avez-vous pas élargi votre inspiration en puisant à d'autres sources ? Pourquoi la Mauritanie, où vous avez été chef de service de l'Elevage, est-elle absente de votre œuvre ?

B. D. : A quelles autres sources? Pour trouver quoi d'autre que les récits et mythes de mon " biotope ouest-africain " ? Parce que justement la Mauritanie ne faisait pas partie de ce " biotope ". Je n'ai jamais eu de contact avec le beidane qui pour moi a été " un autre ", mais pas " l'autre ". Je ne l'ai jamais trouvé " chez lui ".