Présentation de l'oeuvre poétique par R. Mercier et S. Battestini

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C'est sur les bancs du lycée, dès 1925, que Birago Diop commença à «rimailler». On lui a tenu grief de cette rime qu'il s'obstinait à maintenir, à polir, alors qu'au contraire le surréalisme ordonnait qu'on lâchât les amarres, et Senghor qu'on laissât couler le verset. Lui-même et L. G. Damas reprochaient à leur ami de n'être pas « nègre en ses poèmes », alors qu'il était, par ailleurs, si soucieux des traditions africaines (disons plutôt : sénégalaises). Birago ne se cacha pas d'avoir tenté de bonnes imitations des maîtres français qui comblèrent sa studieuse rhétorique.

Saint-Louis fut sa première source d'inspiration, et « sur ce penser nouveau » il «bâtit des vers antiques ».

Les Réminiscences, ou tout au moins ce qu'il en garda, furent confiés à Djim Momar Guèye, ambassadeur du Sénégal en Belgique, ex-Saint-Louisien nommé à Dakar. Il dédia plus tard ces Juvenilia à la mémoire de son frère Massyla.

Les six sonnets survivants, hendécasyllabes non retouchés, marquent donc officiellement l'entrée en poésie de Birago Diop, premier prix de mathématiques du lycée Faidherbe et admirateur de Verlaine (puis, après plusieurs années,... du Canard Enchaîné). Ils ont pour titre : Saint-Louis, Espoir, Animisme, Dialogues, Plage et Désert.

Comme le poète maudit, son disciple «le Nègre Fou »... préfère l'Impair plus vague et plus soluble dans l'air, sans rien en lui qui pèse ou pose.

Birago cite Verlaine parmi ses initiateurs, mais les brillants Trophées de Hérédia ont aussi laissé des traces dans la mémoire et dans les vers. Description plastique et symbolisme se mêlent dans ces premiers exercices de style, tandis que l'Horloge de Baudelaire martèle la fuite du temps, entre le soleil et les vagues.

Rattachons à ces essais de jeunesse les Paroles nostalgiques, composées à Toulouse, en 1929. Il y passe un frisson des « neiges d'antan » en harmonie avec un air lointain de Rameau.

Six autres sonnets, réunis sous l'indication symbolique Décalques, naquirent d'un grand chagrin (voir Aperçu biographique). A Toulouse, en 1932, Birago apprit la mort de son frère Massyla. Aussi les poèmes qui suivirent portent-ils la hantise de la mort, avec son angoissant cortège de pleureuses, de thrènes et de symboles.

L'étudiant en médecine n'oublie pourtant pas le «scalpel» pour «disséquer le cadavre », tandis que les puissances occultes et les génies de la mort se dissimulent sous le masque énigmatique des Silènes ivres.

Des visions chrétiennes et bibliques se mêlent au panthéisme grec, à l'animisme africain. L'engloutissement définitif laisse à la dérive l'esprit, en proie à l'incohérence et à la peur.

Les autres poèmes sont plus difficiles à classer. Birago Diop a réuni toute son oeuvre en un seul recueil, promis depuis 1940, et publié... en 1960. Au cours de ses missions, de ses voyages, il lui arrivait d'écrire, à Nioro du Sahel, Koutiala ou Fada N'Gourma.

La brousse haoussa lui a inspiré des tableaux, animés çà et là par la présence d'un vieillard et d'un enfant dans l'immensité de la savane et du temps. Le jazz l'a influencé forcément (puisque c'est « leur musique »).

Si l'on questionne Birago Diop sur telles circonstances de ses poèmes, il répondra simplement qu'il n'a rien « inventé», mais qu'il a vu, senti ou lu, regardé, entendu ou rêvé. La résonance du coeur lui a soufflé des vers le plus souvent rimés, rythmés, sincères. Il n'a pas prétendu innover, non plus que s'affranchir. Ecrire (et surtout des poèmes) n'est pas le métier de Birago Diop, mais son violon d'Ingres. Il estime fort mince la «plaquette» qu'il a mis vingt ans à livrer au public et lui accorde le seul mérite d'avoir été la première investigation poétique dans la littérature africaine d'expression française. Or, dans le domaine de la poésie, plus souvent peut-être que dans tout autre genre littéraire, se pose le problème du renouvellement.

Si Birago Diop s'en est tenu la plupart du temps au classicisme de la rime et aux grands thèmes d'inspiration des écoles littéraires, c'est qu'il a pensé que l'exercice poétique était avant tout distraction, et non travail, utilisation de procédés, plutôt que recherche de moyens d'expression originaux. La langue naturelle, celle de Boileau, de Racine et de la Fontaine est impérissable, destinée à franchir les siècles sans vieillir.