birago diop mon ami
par OLYMPE BHELY QUENUM Ecrivain-Directeur de La Vie Africaine
Parler de Birago Diop aux lecteurs du CLEF ? Me voici bien embarrassé : il s'agit d'un ami et d'un confrère que j'aime; J'admire son art, sa souplesse, son humour et son style d'ironiste.
S'ait-il la délicate mission où je m'embrouille ? L'honnête homme ! J'ai l'impression qu'il m'épie de son oeil rieur. "Allez-y de votre plume sèche. Vous n'aimez pas les excès; tout ce que vous direz sera vraisemblable".
Bien Par où commencer ? "Les Nouveaux Contes d'Amadou Kouma" ou "Contes et Lavanes",m'a t'on dit. Je ne choisis pas. J'aime toutes les histoires de Birago Diop. C'est un redoutable diagnostiqueur; vétérinaire avant d'être diplomate, il avait appris à passer des apparences aux causes profondes qui faisaient agir ses patients des foréts africaines.
Ces messieurs très distingués se nomment toujours "Boukil'Hyène, Leuk-le Lièvre, Bour-Gayndë-le-Lion, M'Bam-Hal-le Phacochère, Kakatar-le Caméléon, M'Bott-le-Crapaud",et j'en passe. Vous l'avez remarqué, Bour-Gayndé est de la confrérie.
Dans "Contes et Lavanes " comme dans "Les Nouveaux Contes d' Amadou Koumba",ce chef d'Etat-Roi forme autour de lui une république-cour ou il règne; Bouki-l'Hyène en est l'éternel vice-président imbécile; leuk-le-Lièvre, le griot, le ministre machiavélique thuriféraire habile à profiter de toutes les circonstances et à tirer son épingle du jeu en cas de malheur. Bouki mourra de son imbécillité, l'âne périra d'être un Ane et d'agir en baudet;s'il était un onagre Bour-Gayndé le tolérerait à cause du caractère chevalin des onagres. Bref, le monde n'appartient pas aux sots. Pas datage aux grande flatteurs; il arrive à Leuk lui même d'avoir des ennuis, voire de terrifiantes angoisses, mais Leuk est intelligent, agile, il a l'esprit de répartie et d'à-propos.
On n'en dirait pas autant de M'Bam-Hal. Quel nom ! Mais il se nomme ainsi comme d'autres s'appellent Jules, Gaspard ou Entonnoir, M'Bam-Hal Le-Phacochère. Ici ,l'extérieur correspond à l'intérieur. La peau devient le reflet de l'Ame. Malheur aux lourdauds. Ridiculisons les. C'est ce que fait avec subtilité Kakatar-le-Caméléon, en parfaite intelligence avec les turbulents M'Bott-les-Crapauds.
Eh quoi ! Votre Birago Diop ne parle donc que des animaux se demandera t'on. Voyons, n'avez-vous jamais lu Esope, ni Faérne ni Verdizotti, ni le Roman de Renard, ni le grand La Fontaine ? Si oui, allez au-delà des bêtes et des épizooties, vous découvrirez homme et sujets d'actualité dissimulés sous les personnages du malicieux Birago Diop; vous verrez aussi l'Afrique vivante et mystérieuse riche et grouillante d'étranges vérité.
Lisez " L'0s ", "Sa Dagga" et les autres récits oh notre auteur met en scène des hommes corps et Ames. Vous les y verrez soumis à de minutieuses observations cliniques; rien dans le port et propos n'annonce à priori leurs caractères. Puis on les voit qui commencent à parler et à agir en suivant la pensée de leurs interlocuteurs ...Alors ils les cernent peu à peu cherchent à les mettre en difficulté avant de les contraindre à se soumettre à la vérité d'abord exposée sous leur yeux. Voila un des procédés de Birago Diop accoucheur d'Ames au sens socratique du terme.
Le processus est tout autre lorsque ce conteur sublime. ce poète sobre et raffiné entraîne le lecteur dans le monde cosmique où il révèle mille réalités de l'univers négro-africain. Je n'en citerai qu'un exemple "Le Boli". Quelle réussite !quel art quelque honnêteté intellectuelle ! quel respect de la pensée nègre : Je n'expliquerai pas "Le Boli", le lecteur le lira. C'est la justification même d'une pensée émise par Senghor en 1939 : "Ce que le nègre apporte - écrivait le grand poète négroafricain - c'est la faculté de percevoir le surnaturel dans le naturel, le sens du transcendant et l'abandon actif qui l'accompagne. L'abandon d'amour. C'est un élément aussi vivace de sa personnalité ethnique de l'animisme".
"Percevoir le surnaturel dans le naturel". Voilà une des forces de Birago Diop.
"L'abandon d'amour".Voilà ce que j'aime chez Birago Diop. J'apprécie également autant son humour caractérisé par la délicatesse, que sa litote psychologique faite de retenue et de pudeur "Si tu ne me laisses pas faire, tu ne caresseras plus ma ceinture en terre cuite",déclare la marâtre de Binta au père de celle-ci parce-que ce frère ose prendre la défense de sa fille orpheline de mère contre sa nouvelle femme. Avez-vous bien saisi la portée de cette menace d'une maîtresse furieuse ? Relisez "Lysistrata" d'Aristophane, ou un, peu plus près de nous, Malthus qui, pour l'aider à fléchir un mari trop bon pète n'aurait su mieux dresses contre ce dernier sa femme qui se savait aimée et passionnément désiré de lui. Djardieff, admirable Birago Diop, Djardjeff, grand conteur nègre à qui nul ne reprochera de ne pas savoir traduire la pensée négro-africaine, salut !
C. L: S. F. (CLUB DES LECTEURS D'EXPRESSION FRANCAISE)
Bulletin N° Juillet-Aoùt 1964