BIRAGO DIOP N'EST PLUS

par Frédéric Grah Mel

Sans être moins cruelle ou moins douloureuse, la disparition de Birago Diop, le 25 novembre dernier, nous ébranle tout de même moins que celle de Massa Makan Diabaté (janvier 1988) et celle de Tchicaya U Tam'Si (avril 1988) faucliés tous les deux dans la fleur de l'âge. Comment pleurer la mort d'un hommé de 83 ans comblé par la vie comme I'a été Birago Diop il a eu les amitiés les plus enviables dans les milieux culturels du monde entier (Senghor, Sartre, Langston Hughes, Keita Fobéba, Paul Morand, que d'autres encore !) et a connu le bonheur dans son métier de vétérinaire qu'après la retraite prise en mai 1961, il a poursuivi dans les bureaux et les laboratoires d'une clinique privée. Ambassadeur, entre temps, de son pays en Tunisie, il n'a pas dû déprécier cette fonction qui comporte, il est vrai, des servitudes pas toujours très folâtres.

Comment pleurer à la mort d'un homme qui a laissé une oeuvre littéraire et pas n'importe laquelle puisqu'elle est marquée au coin de l'élégance et du charme ? L'oeuvre littéraire, même piètre, est déjà quelque chose de si décisif dans le rapport des hommes à l'immortalité !

On a beaucoup moins encore de raison de pleurer à la disparition d'un écrivain qui a passé toute sa vie dans la familiarité de la mort, dans la hantise de ce qu'il appelait lui-même « 1'autre domaine". A cet égard ce n'est pas peu dire que de rappeler la présence du poème "SOUFFLES" dans la production de Birago Diop.

Aucun texte ne dit plus éloquemment l'obsession de l'univers caché chez Birago Diop, obsession habilement distillé dans ses Contes où il ne manquait pas d'astuces pour la faire sentir. Là c'est le tamarinier qu'il décrit comme l'arbre« le plus fréquenté par les génies et les souffles (...). Beaucoup de fous, écrit-il, crient et chantent le soir qui, le matin, avaient quitté leur village ou leur demeure la tète saine. Ils étaient passés au milieu du jour sous un tamarinier et ils y avaient vu ce qu'ils ne devaient pas voir, ce qu'ils n'auraient pas dû voir: des êtres de l'autre domaine, des génies qu'ils avaient offensés par leurs paroles ou par leurs actes Là c'est le chien qu'il dépeint comme « le plus sage des sages parmi les bêtes » : qui ignore qu'en Afrique le chien est un animal-sorcier, doué d'une double vue ? Même le caméléon que toutes les cultures discréditent pour ses changements de couleurs, assimilés à la versatilité, se drape d'une signification différentes dans l'imaginaire de cet auteur sensible à la duplicité des choses. Katakar n'est-il pas dit , "sage et circonspect jusque dans sa démarche".

Au fond rien d'autre que cette polarisation sur l'envers du réel explique le fait que Birago Diop ait produit uniquement des contes et de la poésie.

1990