La luminosité d'esprit de Birago Diop par Isaac Celestin Tcheho -

Dans la littérature négro africaine, la place de Birago Diop est celle d'un fondateur. Pendant que les Senghor. les Césaire, les Damas Birago se consacraient à la poésie. Birago Diop avait la merveilleuse idée de descendre dans les profondeurs des traditions africaines pour en extraire le miel que sont les contes et ses ingrédients, proverbes et autres formules métaphoriques que manipulent les maîtres consacrés de la parole. Ce faisant, il prenait le contre-pied du discours négrophobe de l'époque qui prétendait que les Noirs n'étaient pas dotés de verve créatrice. En affirmant. dans sa modestie, qu'il transcrivait l'oeuvre d'Amadou Koumba et d'autres "mbandakatts" "ritikatts" et "lavankatts" de son entourage, il laissait entendre qu'on n'a pas besoin d'accompagner ces textes d'une signature moderne pour leur donner un haut degré de littérarité.

Fondateur, Birago Diop l'est donc pour avoir contribué de façon déterminante à la défense et l'affirmation de la véritable culture négro-af'ricaine. Non pas une culture folklorisée, mais une culture dynamique, suffisamment riche pour se mêler aux cultures universelles.

Birago Diop est encore impressionnant par son style: lumineux dans sa finesse, agrémenté de traits d'esprit, de ,sarcasmes incisifs, mais aussi d'humour contagieux. Tour à tour digressif et elliptique, Birago Diop est toujours entraînant dans ses phrases ou ses vers. Partout, il contrôle avec assurance une variété de rythmes amenée souvent par des répétitions binaires ou ternaires, ainsi que des parenthèses dans lesquelles il enferme des critiques tranchantes ou des notations ironiques parfois aussi rapides que l'étoile filante.

Que l'on (re)lise le début des Contes d'Amadou Koumba, surtout "Fari l'ânesse" après l'introduction" qui demeure un chef-d'oeuvre, du genre. L'on peut s'en tenir même, aux premières pages du premier tome de La Plume raboutée (Présence africaine, 1978). Il y présente son frère et formateur Youssoufa Diop comme le "Berger de souvenirs", c'est à dire une bibliothèque vivante des cultures du "pays noir".

L'on découvre ici ce que ce style a de bucolique, de sahélien. Ce dernier terni signifie que les nombreuses, images concrètes qui se bousculent dans ses textes doivent beaucoup à la vie des bêtes et des gens dans les immenses espaces ensoleillés balayés par sa mémoire créatrice: le bassin du fleuve Niger, les sommets du Fouta Djalon, les rivages du Sénégal, les côtes de l'Atlantique que le soleil regarde longuement le soir avant de s'abîmer dans la Grande Mer comme l'affirme Birago Diop dans un ses tableaux poétiques.

Chez lui encore, tout est mis à contribution pour épicer le style: l'histoire du terroir et des terres plus éloignées, le relief, l'hydrographie, les détails climatiques, les particularités culinaires des divers peuples, les variations linguistiques des uns et des autres groupes ethniques ou raciaux... Ainsi explique-t-il l'origine arabe de son prénom qui aurait être Biragor: "le R de Birago est tombé en chemin du Sine et du Cayor à la presqu'île du Cap-Vert lébou en passant p le Diander.

Pour l'essentiel, il m'était apparu que dans certains contes, Birago Diop s'interroge sur l'avenir des relations entre les Noirs et Beidanes. Il organise ces récits auto des enjeux qui déterminant ces rapports et, avec insistance, en arrive toujours montrer qu'il suffit de la plus petite étincelle pour que la violence explose. C'est donc une situation faite de tragédie latente selon lui, qui a toujours prévalu en Afrique de l'Ouest.

Le seul fait d'en parler traduisait chez lui, un refus à peine voilé d'entretenir la politique de l'autruche. Il n'est pas erroné d'affirmer aujourd'hui que si les dirigeants sénégalais et mauritaniens avaient tant soit peu regardé la vérité face, comme l'a fait froidement Birago Diop, peut-être auraient-ils pu devancer l'histoire et atténuer la violence du choc entre les deux communautés.

Maintenant qu'il est mort, il est vivement souhaitable que nos oraisons funèbres nous amènent à sonder davantage son immense oeuvre. Et sans doute, ce début de travail nous permettrait de mieux démêler les fils de la toile d'araignée qu'est la vie de l'être humain, que ce dernier soit de chez lui, de chez nous ou d'ailleurs. Car sous l'identité des divers personnages campés dans le décor de l'Afrique de l'Ouest, c'est finalement l'être humain de tous les lieux qui évolue dans les micro-univers de Birago Diop. Son oeuvre n'en acquiert que plus d'intérêt.

 

Jeune Afrique - 22 Janvier 1990