MOUHAMADOU KANE RACONTE BIRAGO
Le professeur Mouhamadou Kâne, critique littéraire et ancien doyen de la fac de lettres de l'Université cheikh Anta Diop,est un spécialiste de:Birago Diop qu'il a fait plus que côtoyer. Pendant les 25 dernières années de la vie du poète. conteur et dramaturge, il l'a rencontré quasiment tous les jours. Affectueusement, Birago Diop l'appelait: "Mon fils." Cinq après la mort du poète, Mouhamadou Kâne fait revivre Birago dans cette maison devenue le siège de l'association des écrivains.
Souvenirs: Le souvenir le plus vivace que je garde de lui, c'est un homme assis dans ce fauteuil. Je ne 1'avais jamais vu assis que dans ce fauteuil. et le plus grave crime de lèse-majesté était de l'occuper à sa place. Il restait debout et vous regardait et tout le monde vous regardait. Vous finisiez par comprendre que vous n'auriez pas dû vous asseoir 1à. L'étranger qui désirait entrer dans cette maison devait sonner et attendre d'être entrer par le cuisinier qui faisait office de maître d'hôtel. Birago m interdisait de sonner. II me demandait toujours de passer par l'entrée des artistes à savoir la cour, la cuisine pour me retrouver dans le salon. J'avais mes privilèges.
Birago. C'était un homme que beaucoup de Sénégalais ne connaissaient pas. Il vivait à l'européenne. Son éducation, sa formation, les privilèges dont il avait joui - il était fonctionnaire et avait servi dans presque toutes les grandes capitales de l'Afrique de Ouest pendant l'époque coloniale - le prédisposaient à cela. Je pense que c'était aussi une manière de se mettre à l'abri des importuns et autres. Mais ceux qui venaient chez lui savaient comment Birago aimait recevoir. Il adorait les belles choses et, au plan moral, il fuyait les gens ennuyeux, les gens importants. Les requins, il leur fermait la porte.
C'était aussi un homme strict, un homme de la ponctualité. Un Birago, quand on lui disait que la réunion commençait à trois heures, il était là trente minutes avant, c'est pour dire combien il détestait être en retard. Sa femme me disait :" Quand on nous invitait à dîner, nous arrivions alors que ceux qui nous avaient invités n'avaient pas commencé à s'habiller, nous les mettions dans un embarras incroyable" Il aimait vérifier les mots. Ce n'était pas seulement un attachement au beau parler. Je crois que ce qu'il aimait c'était le parler juste. Il y avait chez lui quelque chose de scientifique, de rigoureux, dans sa façon d être, de dire. Ce qui expliquait la haine qu'il avant contre les faux jetons, les truands, les escrocs, les menteurs.
Franc-parler. Un jour, il m'avait dit j Mon fils, j'ai toujours dit les choses telles que je les sentais, ce n'est pas à mon âge que je commencerai à mentir pour faire plaisir à qui que ce soit, fût-il ministre ou président. Je me rappelle m'être retrouvé au palais présidentiel avec Birago et Senghor. Et Senghor de faire de grands développements théoriques et Birago de lui dire " Cey Leopold waxatinga de " Et Senghor de descendre de son fauteuil présidentiel pour parler en toute simplicité a son ami Birago en lui disant " Birago dananu waxtaan "
Travail : Je ne l'ai pas v faire un travail d'imagination je l'ai surtout vu travailler sur ses mémoires. Le plan s'imposait. Il était chronologique tout simplement. II s'appuyant .sur les documents comme repères pour retrouver le récit de sa vie. Les mémoires n'ont pas suffisamment été interrogées. Il faudrait savoir comment fonctionnait son imagination quand il évoquait son passé mais il l'a fait avec un tel plaisir. Mamadou Seck ancien directeur des Nea m'a dit : Je pensais que ton père était devenu fou car Birago l'a accueilli une fois en lui disant aujourd'hui je suis en 42- 11 avait oublié qu'il rédigeait ses mémoires, Il était tellement préoccupé par a qui s'était passé en 42. Ce travail là c'était l'affaire de sa vie ce qui lui permit d'échapper à l'ennui.
Appétit: Birago n'avait pas d'appétit, il mangeait un pot de yaourt en deux jours. Je l'ai vu manger deux gambas en deux jours. Combien de fois nous avons été dans des restaurants de luxe il commandait des repas très chers mais il n'y touchait pas . Il restait à tirer sur sa pipe à causer. Le serveur finissait débarrasser. Et quand je lui faisais remarquer qu'il n'avait pas mangé, il me répondait: mon fils je mange avec les yeux . Je suis très content d'être avec vous. Il était d'une sobriété remarquable.
Sa femme : On l'appelait tante Paule. Quand Birago est mort l'une de ses filles est venue et nous sommes partis rendre visite à Karim Gaye ami de langue date
de Birago Diop et Karim a fait l'éloge de Md Diop, il a dit à Dédé la fille de Birago : il faut prendre exemple sur votre mère qui nous à donnés une leçon de fidélité. Elle a accompagné partout votre père.
Pipe: Il avait avec ses pipes des relations quasiment charnelles. Il avait une batterie de pipes. Birago faisait l'éloge de ses pipes . Il disait qu'une pipe ça se mord, ça se lèche, ça se suce Quand il est mort on a distribué ses pipes à ses amis et j'en ai hérité une.
Les mots: il était clair pour lui qu'on ne pouvait être un grand écrivain si on n' a pas la maîtrise des mots, si on n' établit pas des rapports quasiment charnels avec la langue. Quand les jeunes écrivains lui apportaient leur manuscrit, il les corrigeait avec une férocité quasiment professorale. Il le engueulait. C`était un véritable grammairien.
Génération: Si la génération Birago a été sur le plan intellectuel, une génération qui se distinguait, c'est parce Sue c'était le petit nombre. Ce qui joue contre nous actuellement, c'est le nombre. Moi j'ai fais mes études de certificat de littérature française, nous étions sept , quatre français et trois africains . Aujourd'hui, les africains seront et Dieu suit loué peut-être cent. La qualité apparaît moins bien.
Propos recueillis par Baba DI OP
7 Décembre 1994