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Le soixante-dixième anniversaire de Birago DIOP a été pour plusieurs, l'occasion de rendre un hommage discret au maître - conteur qui, - sinon le premier, certainement le plus grand - a su hausser à la noblesse nouvelle
de l'écrit, la philosophie et les moralités de l'ancienne tradition orale africaine. Un numéro spécial du magazine ARTS ET LETTRES " a rassemblé, autour d'un " hommage " du Président Senghor, des témoignages d'estime, d'amitié, de respect. " Le PEDAGOGUE ' se devait de saluer l'entrée dans " l'automne de son âge " de celui qui fut pour petits et grands un maître sans chaire et sans férule.
Birago Diop a longtemps voulu sa plume " cassée ". Or, voici qu'il a entrepris d'écrire ses mémoires. Le moraliste devient historiographe, ce qui n'est pas changer de vocation, mais d'optique, et de registre. Les généalogistes d'antan n'étaient-ils pas volontiers éducateurs ? Ils ne maniaient pas que la louange, mais se voulaient, par la satire, gardiens, interprètes, défenseurs de l'honneur, de la sagesse des dynasties et des familles. Birago, qui n'a pas de roi à exalter, étant maître de sa personne, se devait de retracer pour nous sa course, comme il nous devait, avant qu'ils ne soient brouillés par le sépia du temps, les portraits de se compagnons de route et d'autres êtres de rencontre sur cette terre des hommes, beaux, ou pas beaux, héros ou traîtres de mélodrame. Ce sera une des plus hautes leçons de celui qui, sans chaire, aura été dans la tradition des contes de moralité, l'éducateur, le maître sans férule de deux générations.
Leebonn ! Lippoon ! Amon nafi I Daana am ! " Les yeux brillants d'anticipation, le cœur vibrant espérant le héros, ou angoissé des méfaits du vilain, voici l'audience , attentive, prête à rire, prête à pleurer. Une braise s'écroule, vite remise en place par une main impatiente.
Birago nous a restitué cela, à nous, gens d'un siècle pressés, qui n'avons plus de coin du feu. Grâce à lui, c'est dans les poches de chacun que se portent trésors de la sagesse ancienne. Enfants du Plateau, de Mènes de Pikine, et la marmaille scolarisée du Grand Dakar peuvent imaginer ce que furent les veillées, " quand les bêtes parlaient aux hommes ". Birago les a ramenés à ce dialogue perdu. Voyez leurs têtes rassemblées de jour autour d'Amadou Koumba ou en récréation, ce petit groupe rieur.
L'un dit : " je le connais "
-qui ? Leuk ?
- Non, stupide ! Birago.
- Birago ? T'es pas fou ? Au point E; J'l'ai vu
Ayant identifié Birago avec l'ancêtre sans âge, ils ne le, concevaient que dans les pages de leurs livres pris entre une fleur séchée et une lisse feuille d'étain. Et voici leurs têtes curieuses par-dessus la haie basse de bougainvillées:
- Tu l'as vu ?
- C'est bien lui ?
- Puisqu'on te dit !
- Oh !
L'homme pinçant sur sa pipe un mince sourire, passe devant des regards surpris de la découvrir si jeune, Ils ont lu la pancarte " Clinique Vétérinaire , ils se disent : " il est docteur ! " Docteur, et maître, à plus d'un titre, bienfaisant.
Ce que nous avons à évaluer ici, parlant du " maître " ce n'est pas la révérence, toute naturelle, maintenant que Amadou Koumba est devenu objet de cours, de lectures expliquées, de thèses, c'est plutôt que Birago, choisissant,: à l'origine ce médium, s'intitulait soutien, était, arc-boutant, d'une valeur menacée de dégradation : la littérature orale de l'Afrique. En ces temps-là, l'identification historique de la jeunesse - le peu qu'on en scolarisait : l'élite - chevauchait par les cols de Ronceveaux, contemplait, du haut des collines incertaines de la mémoire, des plaines qui avaient nom Wagram, Waterloo, après que les pères : sans lettres eussent saisi contre les Boches la cause du poilu; et leur identification culturelle les avait commis au respect unique des manuels, des textes du savoir écrit. Sadji, Socé, encore aujourd'hui Tamsir Niane, témoignent qu'un nationalisme exogène s'était substitué à l'honneur d'être Africain. Les urbanisés ne retenaient de l'ancienne culture que des traits négatifs, comme l'esprit de caste, auquel les " nobles ", vrais ou supposés, s'aggripaient avec d'autant plus de vigueur qu'ils se trouvaient menacés par l'aristocratie nouvelle des écoles et des emplois.
Birago, en faisant un incontestable succès littéraire a des " dits" d'Amadou Koumba, faisait changer de strate à une tradition orale menace, l'installant à nouveau dans son autorité.
L'utilisation, au " sommet " de l'imprimé, des conte, éducatifs, la valorisation de leurs méthodes, et, par le biais de la transposition, de leur langage, a beaucoup fait, à Côté de l'œuvre des " grands " de la Négritude pour l'honneur des Lettres Africaines. Les " Grands ", ayant " volé le feu ", se situaient très haut là où tous ne respirent pas. Birago, ayant allumé sa lampe aux braises du coin du feu, allait doucement à la tête d'un antique cortège. Et il a fait notre éducation d'une autre manière. Le fait qu'un " noble " de tradition, doublement confirmé dans son autorité sociale par la noblesse des Ecoles, eût choisi de cheminer dans la poussière des griots, anoblissait les maîtres du conte, et c'est une leçon dont nos démocraties naissantes avaient bien besoin.
Des éducateurs de métier parleront, peut être, de la " fonction " de Birago dans les salles de classe. Nous avons choisi, ici, de mesurer son extraordinaire vocation de participer à la fierté culturelle du peuple noir en suggérant aux élites de demain l'enracinement dans leur héritage.
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