BIRAG0 DIOP OU LA TRADITION CREATRICE par Le Pr. Fernando L A M B E R T Université Laval (QUEBEC)
Birago DIOP apparaît d'emblée comme un pionnier des lettres africaines. Il a connu la longue germination du mouvement de la Négritude â partir des années trente. Il a même participé â ce mouvement. Mais alors que les "unes écrivains africains et antillais choisissaient la poésie pour exprimer la recherche de leur identité' pour traduire le drame de " l'assimilé " Birago DIOP se situait dés le début de son oeuvre littéraire au cour du monde culturel africain. Il crée dés le départ sur le modèle des contes traditionnels.
Il s'agit bien de création et non de simple traduction. Sans doute, Birago DIOP a d'abord été un auditeur attentif du griot de sa famille, Guéwel Mbaye, et d'Amadou Coumba, rencontré au hasard de ses tournées de Vétérinaire, dans l'ancien Soudan français. Le Professeur Mohamadou KANE, dans son étude sur " les Contes d'Amadou Coumba ", montre de façon éloquente le passage chez Birago DIOP du contre traditionnel au conte moderne ". Le conte traditionnel fournit et la matière',' l'essentiel du contenu, et le cadre formel, la structure du récit. Mais tout cela est soumis ensuite à l'art à très personnel du conteur moderne.
Birago DIOP informe, moule le récit selon sa vision propre du monde', selon les exigences de son écriture toujours soignée. Il double l'humour traditionnel qui est avant tout sagesse profonde et détachée de la vie, d'un humour qui lui est personnel et qui 's'exprime tout au long du récit, Regard malicieux mais j^.mais méchant qui trace en quelques mots percutants le portrait de ses personnages. Esprit toujours en éveil qui crée le détachement nécessaire au rire et qui ouvre-la voie au rebondissement humoristique. Ecrivain dont la simplicité et la clarté de l'expression recréent l'équilibre classique.
Ce qui séduit chez Birago DIOP, c'est l'apparente facilité' c'est le goût de la fantaisie; c'est aussi la sagesse qui sous-tend chaque récit. Il n'est pas difficile d'identifier s. travers ces traits la fidélité au modèle traditionnel. Mais c'est aussi par goût personnel de l'auteur pour le type de récit que représente le conte. Selon ses propres déclarations Birago DIOP veut ainsi échapper au c6té factice qui caractérise; â ses yeux, le roman et le théâtre. Il conte pour divertir, pour livrer une vision de la société et du monde, sans prétention, sans crispation, comme un gage pour qui rien n'a plus de secret.
Comme le conteur traditionnel', Birago DIOP s'implique dans son récit. Il se révèle un excellent maître. Il possède à un rare degré l'art de la mise en situation et de la mise en scène. A la structure du conte traditionnel qu'il reprend en général, il superpose son ordre narratif propre, donnant souvent au conte un cadre qu'il développe longuement. Le conte " les Mamelles " en est une parfaite illustration. Dans les contes qu'il crée de toute pièce, il conserve le ton la logique, la force convaincante du modèle traditionnel. Ainsi " Sarzan " tout en renvoyant à des réalités contemporaines de l'auteur, respecte le cheminement habituel du conte africain dont il reprend et les procédés et le langage.
Chez Birago DIOP le conteur se double du poète. Il n'y a pas de récit où l'on ne retrouve ces touches délicates, ces mots magiques à la fois simples mais évocateurs qui sont la poésie. Quand on a commis un poème de la qualité et la force de " Souffles" on peut se passer aisément des jugements de la critique. Poète, Birago DIOP l'est, parce qu'une âme puissante perce sous l'écorce des mots. Nul besoin déclarer que sa vision du monde est négro-africaine. Elle nous plonge dans le merveilleux, le " surréel " et dans humain, joignant ces deux réalités en un même univers.
La renommée que Birago DIOP a largement acquis, rend justice à la qualité de son oeuvre littéraire. Ses contes comme ses poèmes sont bien connus partout, notamment en Amérique aux Etats-Unis et au Canada précisément à cause de leur fraîcheur et de leur authenticité. Son oeuvre contribue grandement à une meilleure connaissance de l'imaginaire africain des divers modes d'expression de la culture africaine et de sa sagesse profondément humaine qui ne craint pas de rire, de faire rire, de recourir aux multiples formes de l'humour pour juger, dénoncer ou proposer un modus vivendi.
S'il était possible de caractériser en quelques mot la place de Birago DIOP dans la littérature africaine, on pourrait dire qu'il montre avant tout comment la tradition vivante de l'Afrique demeure une tradition créatrice. Pour la génération des artistes et écrivains africains, Birago DIOP est à la fois un initiateur et un modèle.
FERNAND0 LAMBERT
Professeur
R 0 G E R D 0 R S I N V I L L E
Le soixante-dixième anniversaire de Birago DIOP a été pour plusieurs, l'occasion de rendre un hommage discret au maître - conteur qui, - sinon le premier, certainement le plus grand - a su hausser à la noblesse nouvelle
de l'écrit, la philosophie et les moralités de l'ancienne tradition orale africaine. Un numéro spécial du magazine ARTS ET LETTRES " a rassemblé, autour d'un " hommage " du Président Senghor, des témoignages d'estime, d'amitié, de respect. " Le PEDAGOGUE ' se devait de saluer l'entrée dans " l'automne de son âge " de celui qui fut pour petits et grands un maître sans chaire et sans férule.
Birago Diop a longtemps voulu sa plume " cassée ". Or, voici qu'il a entrepris d'écrire ses mémoires. Le moraliste devient historiographe, ce qui n'est pas changer de vocation, mais d'optique, et de registre. Les généalogistes d'antan n'étaient-ils pas volontiers éducateurs ? Ils ne maniaient pas que la louange, mais se voulaient, par la satire, gardiens, interprètes, défenseurs de l'honneur, de la sagesse des dynasties et des familles. Birago, qui n'a pas de roi à exalter, étant maître de sa personne, se devait de retracer pour nous sa course, comme il nous devait, avant qu'ils ne soient brouillés par le sépia du temps, les portraits de se compagnons de route et d'autres êtres de rencontre sur cette terre des hommes, beaux, ou pas beaux, héros ou traîtres de mélodrame. Ce sera une des plus hautes leçons de celui qui, sans chaire, aura été dans la tradition des contes de moralité, l'éducateur, le maître sans férule de deux générations.
Leebonn ! Lippoon ! Amon nafi I Daana am ! " Les yeux brillants d'anticipation, le cœur vibrant espérant le héros, ou angoissé des méfaits du vilain, voici l'audience , attentive, prête à rire, prête à pleurer. Une braise s'écroule, vite remise en place par une main impatiente.
Birago nous a restitué cela, à nous, gens d'un siècle pressés, qui n'avons plus de coin du feu. Grâce à lui, c'est dans les poches de chacun que se portent trésors de la sagesse ancienne. Enfants du Plateau, de Mènes de Pikine, et la marmaille scolarisée du Grand Dakar peuvent imaginer ce que furent les veillées, " quand les bêtes parlaient aux hommes ". Birago les a ramenés à ce dialogue perdu. Voyez leurs têtes rassemblées de jour autour d'Amadou Koumba ou en récréation, ce petit groupe rieur.
L'un dit : " je le connais "
-qui ? Leuk ?
- Non, stupide ! Birago.
- Birago ? T'es pas fou ? Au point E; J'l'ai vu
Ayant identifié Birago avec l'ancêtre sans âge, ils ne le, concevaient que dans les pages de leurs livres pris entre une fleur séchée et une lisse feuille d'étain. Et voici leurs têtes curieuses par-dessus la haie basse de bougainvillées:
- Tu l'as vu ?
- C'est bien lui ?
- Puisqu'on te dit !
- Oh !
L'homme pinçant sur sa pipe un mince sourire, passe devant des regards surpris de la découvrir si jeune, Ils ont lu la pancarte " Clinique Vétérinaire , ils se disent : " il est docteur ! " Docteur, et maître, à plus d'un titre, bienfaisant.
Ce que nous avons à évaluer ici, parlant du " maître " ce n'est pas la révérence, toute naturelle, maintenant que Amadou Koumba est devenu objet de cours, de lectures expliquées, de thèses, c'est plutôt que Birago, choisissant,: à l'origine ce médium, s'intitulait soutien, était, arc-boutant, d'une valeur menacée de dégradation : la littérature orale de l'Afrique. En ces temps-là, l'identification historique de la jeunesse - le peu qu'on en scolarisait : l'élite - chevauchait par les cols de Ronceveaux, contemplait, du haut des collines incertaines de la mémoire, des plaines qui avaient nom Wagram, Waterloo, après que les pères : sans lettres eussent saisi contre les Boches la cause du poilu; et leur identification culturelle les avait commis au respect unique des manuels, des textes du savoir écrit. Sadji, Socé, encore aujourd'hui Tamsir Niane, témoignent qu'un nationalisme exogène s'était substitué à l'honneur d'être Africain. Les urbanisés ne retenaient de l'ancienne culture que des traits négatifs, comme l'esprit de caste, auquel les " nobles ", vrais ou supposés, s'aggripaient avec d'autant plus de vigueur qu'ils se trouvaient menacés par l'aristocratie nouvelle des écoles et des emplois.
Birago, en faisant un incontestable succès littéraire a des " dits" d'Amadou Koumba, faisait changer de strate à une tradition orale menace, l'installant à nouveau dans son autorité.
L'utilisation, au " sommet " de l'imprimé, des conte, éducatifs, la valorisation de leurs méthodes, et, par le biais de la transposition, de leur langage, a beaucoup fait, à Côté de l'œuvre des " grands " de la Négritude pour l'honneur des Lettres Africaines. Les " Grands ", ayant " volé le feu ", se situaient très haut là où tous ne respirent pas. Birago, ayant allumé sa lampe aux braises du coin du feu, allait doucement à la tête d'un antique cortège. Et il a fait notre éducation d'une autre manière. Le fait qu'un " noble " de tradition, doublement confirmé dans son autorité sociale par la noblesse des Ecoles, eût choisi de cheminer dans la poussière des griots, anoblissait les maîtres du conte, et c'est une leçon dont nos démocraties naissantes avaient bien besoin.
Des éducateurs de métier parleront, peut être, de la " fonction " de Birago dans les salles de classe. Nous avons choisi, ici, de mesurer son extraordinaire vocation de participer à la fierté culturelle du peuple noir en suggérant aux élites de demain l'enracinement dans leur héritage.
R 0 G E R D 0 R S I N V I L L E
MOUHAMADOU KANE RACONTE BIRAGO
Le professeur Mouhamadou Kâne, critique littéraire et ancien doyen de la fac de lettres de l'Université cheikh Anta Diop,est un spécialiste de:Birago Diop qu'il a fait plus que côtoyer. Pendant les 25 dernières années de la vie du poète. conteur et dramaturge, il l'a rencontré quasiment tous les jours. Affectueusement, Birago Diop l'appelait: "Mon fils." Cinq après la mort du poète, Mouhamadou Kâne fait revivre Birago dans cette maison devenue le siège de l'association des écrivains.
Souvenirs: Le souvenir le plus vivace que je garde de lui, c'est un homme assis dans ce fauteuil. Je ne 1'avais jamais vu assis que dans ce fauteuil. et le plus grave crime de lèse-majesté était de l'occuper à sa place. Il restait debout et vous regardait et tout le monde vous regardait. Vous finisiez par comprendre que vous n'auriez pas dû vous asseoir 1à. L'étranger qui désirait entrer dans cette maison devait sonner et attendre d'être entrer par le cuisinier qui faisait office de maître d'hôtel. Birago m interdisait de sonner. II me demandait toujours de passer par l'entrée des artistes à savoir la cour, la cuisine pour me retrouver dans le salon. J'avais mes privilèges.
Birago. C'était un homme que beaucoup de Sénégalais ne connaissaient pas. Il vivait à l'européenne. Son éducation, sa formation, les privilèges dont il avait joui - il était fonctionnaire et avait servi dans presque toutes les grandes capitales de l'Afrique de Ouest pendant l'époque coloniale - le prédisposaient à cela. Je pense que c'était aussi une manière de se mettre à l'abri des importuns et autres. Mais ceux qui venaient chez lui savaient comment Birago aimait recevoir. Il adorait les belles choses et, au plan moral, il fuyait les gens ennuyeux, les gens importants. Les requins, il leur fermait la porte.
C'était aussi un homme strict, un homme de la ponctualité. Un Birago, quand on lui disait que la réunion commençait à trois heures, il était là trente minutes avant, c'est pour dire combien il détestait être en retard. Sa femme me disait :" Quand on nous invitait à dîner, nous arrivions alors que ceux qui nous avaient invités n'avaient pas commencé à s'habiller, nous les mettions dans un embarras incroyable" Il aimait vérifier les mots. Ce n'était pas seulement un attachement au beau parler. Je crois que ce qu'il aimait c'était le parler juste. Il y avait chez lui quelque chose de scientifique, de rigoureux, dans sa façon d être, de dire. Ce qui expliquait la haine qu'il avant contre les faux jetons, les truands, les escrocs, les menteurs.
Franc-parler. Un jour, il m'avait dit j Mon fils, j'ai toujours dit les choses telles que je les sentais, ce n'est pas à mon âge que je commencerai à mentir pour faire plaisir à qui que ce soit, fût-il ministre ou président. Je me rappelle m'être retrouvé au palais présidentiel avec Birago et Senghor. Et Senghor de faire de grands développements théoriques et Birago de lui dire " Cey Leopold waxatinga de " Et Senghor de descendre de son fauteuil présidentiel pour parler en toute simplicité a son ami Birago en lui disant " Birago dananu waxtaan "
Travail : Je ne l'ai pas v faire un travail d'imagination je l'ai surtout vu travailler sur ses mémoires. Le plan s'imposait. Il était chronologique tout simplement. II s'appuyant .sur les documents comme repères pour retrouver le récit de sa vie. Les mémoires n'ont pas suffisamment été interrogées. Il faudrait savoir comment fonctionnait son imagination quand il évoquait son passé mais il l'a fait avec un tel plaisir. Mamadou Seck ancien directeur des Nea m'a dit : Je pensais que ton père était devenu fou car Birago l'a accueilli une fois en lui disant aujourd'hui je suis en 42- 11 avait oublié qu'il rédigeait ses mémoires, Il était tellement préoccupé par a qui s'était passé en 42. Ce travail là c'était l'affaire de sa vie ce qui lui permit d'échapper à l'ennui.
Appétit: Birago n'avait pas d'appétit, il mangeait un pot de yaourt en deux jours. Je l'ai vu manger deux gambas en deux jours. Combien de fois nous avons été dans des restaurants de luxe il commandait des repas très chers mais il n'y touchait pas . Il restait à tirer sur sa pipe à causer. Le serveur finissait débarrasser. Et quand je lui faisais remarquer qu'il n'avait pas mangé, il me répondait: mon fils je mange avec les yeux . Je suis très content d'être avec vous. Il était d'une sobriété remarquable.
Sa femme : On l'appelait tante Paule. Quand Birago est mort l'une de ses filles est venue et nous sommes partis rendre visite à Karim Gaye ami de langue date
de Birago Diop et Karim a fait l'éloge de Md Diop, il a dit à Dédé la fille de Birago : il faut prendre exemple sur votre mère qui nous à donnés une leçon de fidélité. Elle a accompagné partout votre père.
Pipe: Il avait avec ses pipes des relations quasiment charnelles. Il avait une batterie de pipes. Birago faisait l'éloge de ses pipes . Il disait qu'une pipe ça se mord, ça se lèche, ça se suce Quand il est mort on a distribué ses pipes à ses amis et j'en ai hérité une.
Les mots: il était clair pour lui qu'on ne pouvait être un grand écrivain si on n' a pas la maîtrise des mots, si on n' établit pas des rapports quasiment charnels avec la langue. Quand les jeunes écrivains lui apportaient leur manuscrit, il les corrigeait avec une férocité quasiment professorale. Il le engueulait. C`était un véritable grammairien.
Génération: Si la génération Birago a été sur le plan intellectuel, une génération qui se distinguait, c'est parce Sue c'était le petit nombre. Ce qui joue contre nous actuellement, c'est le nombre. Moi j'ai fais mes études de certificat de littérature française, nous étions sept , quatre français et trois africains . Aujourd'hui, les africains seront et Dieu suit loué peut-être cent. La qualité apparaît moins bien.
Propos recueillis par Baba DI OP
7 Décembre 1994
UNE VISION DU MONDE PARTICULIERE
par Jacqueline FALQ
Lorsqu'un étranger me demande quel livre il lui faut lire en premier pour prendre contact avec l'Afrique et tenter de la connaître, je lui réponds sans l'ombre d'une hésitation : les " Contes " de Birago DIOP !
Oui, les Contes de Birago Diop sont une merveilleuse introduction aux réalités africaines s l'auteur est un " initié " qui raconte les mille et une journées vécues tout au long de ses tournées en Afrique de l'Ouest, lorsqu'il était vétérinaire itinérant. Avec l'aisance et le naturel de celui qui possède l'art de la parole, comme si elle était un don du ciel, il raconte avec chaleur ce qu'il a vu et entendu mais aussi ce qu'il a entrevu et deviné de cette réalité qui échappe aux yeux du corps pour ne se dévoiler qu'à ceux de l'esprit.
Il brosse les paysages qui lui sont familiers s marigots gonflés de la saison des pluies, pistes que rend dangereuses la latérite soudain glissante, campements provisoires où l'on s'arrête le temps de reprendre des forces, forêts profondes et savanes dénudées qui abritent les tanières des bêtes et les demeures des hommes.
Les êtres vivants qu'il y rencontre qui sont indifféremment des hommes ou des animaux - ont toujours un sens aigu de l'existence et une façon de s'exprimer toujours en relation avec les circonstances comme si chaque être connaissait, d'instinct la place qui est la sienne dans cet univers visible cerné de toutes parts par le monde invisible des ancêtres et des esprits.
C'est donc une Afrique réelle et non imaginaire que dépeint Birago Diop, en dépit de la fiction du conte, une Afrique paysanne, pastorale, artisanale, vivant au rythme des travaux et des fêtes, marquée à la fois par la lutte qu'il faut sans cesser mener pour entretenir la vie au sein des communautés solidement hiérarchisées et par les caprices ou les exigences des saisons et des génies. Jamais on ne perd de vue la réalité; le monde s'offre à nous sous ses deux faces s son envers et son endroit qu'on ne saurait séparer. Le lièvre, certes, est rusé, mais l'hyène est sotte; voilà formé un couple indissociable tant il est vrai que l'ignorant sera toujours roulé par celui qui sait. Les marabouts sont parfois gourmands et sans scrupules; mais ils peuvent être aussi les seuls capables de résoudre des problèmes particulièrement épineux t la sagesse elle aussi a une hiérarchie qu'il faut savoir respecter. Les femmes sont soi. vent bavardes et indiscrètes, mais elles sont aussi d'une générosité sans limites s ce qui prouve, si cela était nécessaire, qu'on ne saurait se passer d'elles 1 Cette dualité des comportements, ce mélange intime de défaits et de qualités nous rappellent avec force que dans la vie comme dans le conte, il faut savoir regarder, observer, écouter et parfois se taire pour se pénétrer de la sagesse d'autrui comme pour se protéger de ses outrances, avant de courir aux actes irréfléchis et aux jugements sans fondement solide.
Oui, Birago Diop est un véritable initié !
Sa verve, jamais en défaut, légère ou caustique, discrète ou truculente, se nourrit de la sagesse même du terroir africain, des expériences vécues par ceux qui ont disparu mais qui ne sont pas morts. Les fous et les méchants sont le plus souvent ceux qui enfreignent les lois de la société à laquelle ils appartiennent, méritant ainsi un châtiment exemplaire. Les sages, eux, acceptent avec humilité de franchir les étapes qui mènent au royaume du savoir, à travers un voyage semé d'embûches, d'épreuves et de révélations partielles.
C'est le lecteur qui en définitive, est le grand bénéficiaire ! Il prend un véritable plaisir à lire les trois tomes des contes de Birago Diop, il acquiert, sans grande fatigue, les fruits de l'expérience des Anciens, il s'enrichit d'une part supplémentaire d'humanité en retrouvant, s'il le souhaite, la place qui peut devenir la sienne dans un univers proche de la nature où le réel plonge ses racines dans un monde secret que la raison ne connaît guère !
La voix du conteur résonne à nos oreilles désormais ouvertes, s'empare de notre cœur pour nous introduire au royaume des initiés, pour nous faire entendre les vérités les plus saines, celles qui ont fait la force de l'Afrique traditionnelle, et qui demeurent utiles dans l'Afrique d'aujourd'hui.
C'est en parcourant les pistes, c'est en faisant halte dans les villages, c'est en écoutant les conteurs, c'est en regardant vivre les hommes et les bêtes que Birago Diop a trouvé la substance de ses contes, mais c'est en puisant dans sa vaste culture humaniste, en faisant appel à son sens personnel des contacts humains, en maniant une connaissance profonde de la langue française et un humour bien à lui que Birago Diop occupe une place privilégiée dans cette littérature essentiellement africaine par une vision du monde qui lui appartient en propre.
L'EXEMPLE BIRAGO
par Mohamadou KANE
La semaine d'hommage à Birago DIOP, organisée par les autorités et institutions culturelles de notre pays, ramène notre pensée à l'illustre disparu. Les mots qui s'imposent à nous qui l'avons pratiqué et aimé sont ceux de qualité d'une vie et d'une pensée, ceux de rigueur et d'exemplarité d'une carrière ceux d'honnêteté -dans le sens classique du terme -et de séduction.
Birago était doublement privilégié et il le savait. Il aimait dire que Dieu avait fait de lui un être privilégie, par sa famille, sa formation, sa carrière... Il a fait de notre pays un pays privilégié de le compter parmi ses enfants les plus méritants, ceux qui incarnent ses valeurs les plus hautes, ses valeurs impérissables et dont la vie et l'oeuvre sont sources d'inspiration pour leurs concitoyens, comme pour ceux qui vivent par delà ses frontières.
Intelligent et travailleur, BIRAGO a su saisir au bond toutes les chances de la vie. Il fit les meilleures études à l'époque. Sa carrière professionnelle un parcours exemplaire, administra la preuve que les Noirs étaient éligibles, par leur seul mérite aux fonction les plus hautes de l'Etat. Avec une compétence louée de tous ses chefs, il dirigea la Service de l'Elevage du Soudan, de la Côte-d'Ivoire, de la Mauritanie, de l'actuel Burkina-Faso...
Comme il aimait à le dire,, il sut être "Un Nègre parmi les Blancs et un Blanc parmi les Nègres".
Au lendemain de l'indépendance du Sénégal, Il fait une incursion dans les Affaires Etrangères. Son Ambassade en Tunisie fut pour lui éblouissement.
Mais sa gloire était déjà faite qui n'avait pas toujours eu à voir avec son métier de vétérinaire. Au Lycée, dans le sillage de ses maîtres parnassiens et symbolistes, il s'était à la poésie.
L'exercice de son métier de "Vétérinaire et de Vétérinaire-Stylo", -le ramène à l'Afrique et à l'Afrique profonde, celle des paysans et des pasteurs.
Le compte supplante la poésie dans son oeuvre ou plus exactement le compte intègre la poésie, se l'assimile et lui confère un cachet on ne peut plus négro-africain.
Retour de Tunis, Birago passe à la retraite, dit et répète à qui veut l'entendre qu'il a "cassé sa plume", qu'il va enfin exercer le seul métier qu'il se connaisse. Il s'établit Vétérinaire de quartier au Point-E. Sa clinique devient aussitôt le lieu de rencontre de ses amis et des hommes de culture. Il cède à l'insistance charmante et renouvelée de Mme Annette MBAYE d'ERNEVILLE et de ses amies de la Revue "Awa" et rédige les contes d'Ava. Le temps des contes qui faisaient leur chemin de par le monde était passé. Il adapte l'Os de Mor Lam" pour le Théâtre SORANO qui a fait de cette pièce un succès éclatant et durable, chez nous comme à l'étranger. Les rigueurs du grand âge fige, implacables, s'imposent a Birago qui ferme sa clinique.
Il ne lui rente plus que la présidence de nombreuses association et Institutions culturelles : le Comité de lecture de SORANO, des Nouvelles Editions Africaine, l'Association des Ecrivains, le Conseil d'Administration du B.S.D.A....
Mais que peut faire des longs jours,, des nuits interminables un homme intelligent travailleur, méticuleux, qui a amassé au cours d'une vie très active une masse incroyable de documents, agendas, cartes postales "Guid'A.O.F. qui a une mémoire prodigieuse,, qui entretient le culte de l'amitié, qui de surcroît est un conteur émérites. Il va se conter et il va raconter sa vie, non pas refaire sa vie, mais la revivre avec ses amie.
BIRAGO revient par où il avait commencé. Sa poésie première avait été personnelle. Il met un terme à son oeuvre littéraire par ses mémoires. Il croyait pouvoir tout dire en un ouvrage. Il fut pris au jeu et céda à une certaine forme de délectation personnelle. Le cinquième Tome de ses mémoires est sorti trois mois avant sa mort.
On n'a pas fini de prendre les mesures de l'importance de ses mémoires.
Là aussi Birago a innové : il est notre premier mémorialiste. Il a ouvert la voie à nos écrivains qui en dehors du roman autobiographique gardent sur leur vie un silence embarrassé ou pudique.
Birago DIOP, il y avait plus qu'un fonctionnaire modèle et un très grand écrivain qui ne croyait pas au métier d'écrivain. Il y avait l'homme et ses séductions. Un homme de rigueur et de qualité. Tout, autour de lui, était mesure, sérénité, distinction. Il était regardant jusque dans la choix de ses pipes, dans sa mise, dans le mariage discret et heureux de tous, dans son discours français ou wolof.. Il avait la religion du juste. La franglais le heurtait, l'abus des jargon le désolait. De même, il déplorait l'abus de mots français dam le Wolof quotidien. Il tenait à l'écart de toutes sortes d'agitation politicienne, de trafics d'influences. En toutes choses, Il privilégiait la rigueur, l'honnêteté. Pour lui, l'homme, ses amis, ses parents, passaient avant les honneurs, avantages et prébendes.
On peut dire que sa vie, comme son oeuvre littéraire, son oeuvre de conteur, a été l'illustration des valeurs fondamentales de notre peuple.
C'est peut-être parce qu'il n'était pas seulement un poètes, mais aussi, mais surtout, un conteur que l'Eternité ne le figera pas en lui même, la mort va comme libérer son oeuvre, la mettre à même de répondre à notre attente renouvelée. Car jusqu'à la fin des temps, nous autres Sénégalais, Africains, et bien d'autre encore, nous interrogerons l'oeuvre de BIRAGO comme pour nous repositionner culturellement.
Discour prononcé en Février 1990